Histoire des jeux vidéo

Another world

Le jeu vidéo francais dans toute sa splendeur

Illustration

Another World

L’aventure visionnaire d’Éric Chahi, entre art, solitude et révolution vidéoludique


Chapitre I – La genèse d’un monde à part

En 1991, le jeune concepteur français Éric Chahi bouleverse le paysage vidéoludique mondial en créant seul, ou presque, Another World (intitulé Out of This World en Amérique du Nord). Développé initialement sur Amiga et Atari ST, le jeu est le fruit de deux années de travail intense, où Chahi s’occupe de tout : scénario, graphismes, animation et programmation.

Son ambition ? Créer une œuvre interactive proche du cinéma, capable de susciter des émotions sans recourir aux dialogues ni aux interfaces envahissantes. Cette vision artistique inédite découle de son parcours autodidacte et de son goût pour l’animation et la science-fiction. Chahi voulait « immerger le joueur dans un autre monde », littéralement.


Chapitre II – L’histoire et la mise en scène : une narration sans paroles

Le jeu débute par une séquence d’introduction spectaculaire pour l’époque : le jeune scientifique Lester Knight Chaykin travaille tard dans son laboratoire lorsqu’un orage provoque la foudre qui le frappe via un accélérateur de particules. En un instant, il se retrouve projeté dans un monde extraterrestre hostile, peuplé de créatures étranges et de pièges mortels.

Ce qui frappe immédiatement, c’est l’absence totale de texte et de dialogue. Tout passe par l’image, l’animation et la mise en scène. Chaque geste, chaque regard entre Lester et son compagnon extraterrestre (souvent surnommé Buddy par les fans) évoque une émotion. Another World raconte une histoire universelle : celle de l’amitié, de la survie et de la liberté.


Chapitre III – Une prouesse technique et artistique

Sur le plan technologique, Another World repose sur une idée audacieuse : remplacer les sprites traditionnels par des animations vectorielles, permettant un rendu fluide et stylisé. Grâce à ce procédé, Chahi parvient à produire des animations proches du dessin animé, tout en économisant de la mémoire — un atout crucial sur les ordinateurs 16 bits.

Le moteur du jeu, conçu sur mesure, offrait une précision rare dans les mouvements du héros. Les décors minimalistes, composés de silhouettes polygonales, renforçaient l’atmosphère onirique et intemporelle du jeu. Sur Amiga et Atari ST, cette esthétique fut immédiatement saluée pour son élégance.

Cette direction artistique, mêlant sobriété, tension et beauté abstraite, influencera profondément des titres ultérieurs comme Flashback, Heart of Darkness (également créé par Chahi quelques années plus tard) ou Inside de Playdead.


Chapitre IV – Les multiples versions et portages

Fort de son succès critique, Another World fut porté sur DOS, Macintosh, Mega Drive, Super Nintendo, 3DO, Mega-CD, Atari Jaguar, et même, des décennies plus tard, sur Windows, consoles modernes et smartphones. Chaque adaptation apporta ses ajustements :

En 2011, pour célébrer les 20 ans du jeu, une édition remasterisée HD dirigée par Chahi lui-même fut publiée, incluant graphismes modernisés, son retravaillé et making-of complet.


Chapitre V – Héritage et influence culturelle

Another World n’est pas seulement un jeu culte : c’est une œuvre fondatrice du jeu d’auteur. Éric Chahi y affirma une vision artistique personnelle, à une époque où la majorité des productions visaient le divertissement pur. Il introduisit la notion de cinématique interactive, bien avant l’avènement des studios comme Quantic Dream ou Naughty Dog.

L’expérience qu’il propose — une immersion totale, une solitude palpable, une esthétique épurée — a profondément marqué des générations de créateurs. Des jeux modernes tels que Journey, Limbo ou Inside doivent beaucoup à l’approche narrative et émotionnelle d’Another World.


Verdict final

Critère Note /20 Commentaire
Graphismes 18 Style vectoriel inimitable, intemporel, toujours évocateur.
Animation 19 Fluidité et cohérence rares pour l’époque. Chaque mouvement semble pensé comme une chorégraphie.
Son & musique 17 Ambiance sonore magistrale, parfaitement en phase avec la tension dramatique.
Gameplay 15 Exigeant, parfois frustrant, mais d’une précision remarquable pour 1991.
Intérêt global 18/20 Un chef-d’œuvre absolu du jeu d’auteur, poétique, exigeant et visionnaire.

Avec Another World, Éric Chahi a transcendé les limites techniques de 1991 pour créer une expérience émotionnelle et visuelle sans équivalent. Plus de trente ans après sa sortie, son empreinte demeure vivace : il a ouvert la voie à une conception du jeu vidéo comme art narratif et poétique, où le silence, la lumière et le mouvement suffisent à raconter l’inconnu et font de Another World