Histoire des jeux vidéo

Apple II — La révolution domestique de la micro-informatique (1977)

L’ordinateur personnel qui a tout changé

Illustration

1. L’idée fondatrice : du rêve d’ingénieur au concept de l’ordinateur personnel

Au milieu des années 1970, la Silicon Valley n’était encore qu’un terrain d’expérimentation pour bricoleurs passionnés, où des visionnaires s’acharnaient à faire tenir la puissance d’un ordinateur dans une machine accessible au grand public.
Parmi eux, Steve Wozniak, ingénieur autodidacte et membre du Homebrew Computer Club à Menlo Park, rêvait d’un ordinateur simple, bon marché et complet, que n’importe qui pourrait brancher à un téléviseur domestique pour coder, jouer ou apprendre.
Son ami Steve Jobs, lui, percevait immédiatement le potentiel commercial et culturel d’une telle invention : pour lui, un ordinateur personnel devait devenir un objet de vie quotidienne, pas un outil réservé aux laboratoires ou aux entreprises.

L’idée de l’Apple II est née de cette rencontre entre deux tempéraments :

Leur première création, l’Apple I, commercialisée en 1976, n’était encore qu’une carte mère nue, vendue 666,66 $ sans boîtier ni clavier. Mais son succès inattendu, dans le cercle des passionnés, convainquit Jobs qu’il fallait aller plus loin : créer un ordinateur fini, prêt à l’emploi, esthétique et fiable.
C’est cette ambition qui allait donner naissance, quelques mois plus tard, à l’Apple II.


2. La genèse de l’Apple II : l’ingéniosité de Wozniak et la détermination de Jobs

Le développement de l’Apple II débute à la fin de 1976.
Steve Wozniak conçoit le matériel presque seul dans son garage de Los Altos : il imagine un design électronique d’une élégance rare, limitant le nombre de puces pour réduire les coûts sans compromettre la performance.
Son idée révolutionnaire : intégrer une sortie vidéo couleur, une première dans un ordinateur personnel, permettant d’afficher jusqu’à six couleurs simultanément sur un simple écran de télévision.
Jobs, de son côté, impose des exigences esthétiques inédites pour l’époque :

Le duo est épaulé par quelques figures clés :

La première présentation publique de l’Apple II a lieu le 10 juin 1977 lors du West Coast Computer Faire à San Francisco.
Le public est stupéfait : pour la première fois, un ordinateur personnel affiche des graphismes colorés, émet des sons, et semble conçu non pour les ingénieurs, mais pour tout un chacun.
Apple venait de définir les codes du micro-ordinateur moderne.


3. Le succès : du garage au marché mondial

Le succès de l’Apple II est fulgurant.
Dès sa commercialisation à l’été 1977, il s’impose comme le premier micro-ordinateur grand public viable, accessible, attrayant et évolutif.
Son prix de départ (1 298 $ avec 4 Ko de RAM) reste élevé, mais inférieur à celui des mini-ordinateurs professionnels de l’époque.

Entre 1977 et 1985, l’Apple II devient le cœur battant de la micro-informatique éducative et domestique :

Apple vendra plus de 6 millions d’unités toutes versions confondues (II, II +, IIe, IIc, IIgs), un chiffre colossal pour l’époque.
L’Apple II fut le pilier financier de l’entreprise jusqu’à l’arrivée du Macintosh en 1984, et permit à Apple de devenir le symbole même de la révolution informatique.


4. Spécifications techniques : un bijou d’ingénierie minimaliste

Les caractéristiques du premier modèle, l’Apple II (1977), étaient impressionnantes pour leur temps :

Composant Détails
Processeur MOS 6502 cadencé à 1 MHz
Mémoire vive (RAM) 4 Ko extensibles jusqu’à 48 Ko
Affichage vidéo Texte 40×24 caractères, Graphismes 280×192 en 6 couleurs
Son Haut-parleur interne monophonique programmable
Stockage Cassette audio, puis lecteur de disquettes Disk II (140 Ko par disquette, dès 1978)
Ports d’extension 8 slots internes, favorisant une multitude de cartes d’extension
Clavier 52 touches intégrées
Système d’exploitation BASIC intégré en ROM (Integer BASIC, puis Applesoft BASIC sous licence Microsoft)

Cette architecture ouverte et modulaire en fit un terrain d’expérimentation sans équivalent : les utilisateurs pouvaient brancher des cartes graphiques, des interfaces série, des modems, des imprimantes, et même des coprocesseurs Z-80 pour faire tourner CP/M, l’un des premiers systèmes d’exploitation professionnels.


5. Les jeux et l’émergence du jeu vidéo micro-informatique

L’Apple II fut aussi le berceau du jeu vidéo sur ordinateur personnel.
Des centaines de développeurs indépendants et de petites sociétés y virent un champ d’expérimentation inépuisable.
Entre 1977 et le début des années 1990, plus de 1 500 jeux commerciaux furent publiés, couvrant tous les genres : aventure textuelle, RPG, stratégie, action, et éducation.

Quelques titres majeurs ont marqué l’histoire :

L’Apple II fut aussi la plateforme d’origine de Sierra On-Line, Broderbund, Electronic Arts, et Origin Systems, sociétés qui allaient dominer l’industrie vidéoludique des décennies suivantes.

Sa simplicité de programmation, grâce au BASIC intégré, permit à toute une génération de jeunes passionnés — dont certains futurs pionniers du jeu vidéo — de s’initier à la création interactive.


6. Héritage et postérité : l’Apple II, pilier de l’histoire numérique

Aujourd’hui, l’Apple II est unanimement reconnu comme l’un des ordinateurs les plus influents de l’histoire.
Il a défini plusieurs standards fondateurs :

L’Apple II n’était pas qu’une machine ; il était une culture, un symbole de liberté intellectuelle et de créativité.
Ses huit slots d’extension, son langage accessible, et sa documentation claire ont engendré une communauté de bidouilleurs et d’inventeurs qui ont façonné la micro-informatique moderne.

Son influence s’étend jusque dans les produits contemporains : l’approche user-friendly du Macintosh, la philosophie de design minimaliste des produits Apple, ou encore la modularité des PC trouvent toutes leurs racines dans l’esprit du Steve Wozniak et du Steve Jobs de 1977.


L’ordinateur qui fit entrer le monde dans l’ère numérique

L’Apple II fut plus qu’un ordinateur : ce fut le déclencheur d’une révolution culturelle et technologique.
Il a transformé un hobby de garage en une industrie mondiale et a posé les bases de tout ce que nous appelons aujourd’hui “l’informatique personnelle”.
Il incarne le moment où la technologie est passée du laboratoire au salon, du technicien à l’écolier, du code binaire à l’imagination humaine.

L’Apple II reste un symbole d’audace, de génie et de simplicité, un monument dans l’histoire de l’humanité numérique.