Histoire des jeux vidéo

Gamesmaster

L'émission culte qui a fait entrer le jeu vidéo dans les foyers britanniques

Illustration

1. Naissance d’un concept révolutionnaire

À une époque où le jeu vidéo était encore perçu comme un loisir marginal réservé à quelques passionnés, GamesMaster surgit sur les écrans britanniques comme une véritable révolution culturelle. Diffusée sur Channel 4 à partir du 7 janvier 1992, l’émission est la première au Royaume-Uni – et l’une des toutes premières au monde – à être entièrement consacrée à l’univers du jeu vidéo.

Le concept naît dans l’esprit du producteur Jane Hewland (de Hewland International), qui perçoit déjà le potentiel médiatique du jeu vidéo dans la culture populaire. L’idée : créer une émission de divertissement alliant compétition, humour et expertise technique, le tout dans un cadre télévisuel dynamique et accessible.

Rapidement, GamesMaster s’impose comme un phénomène de société. Avec son ton décontracté, son esthétique futuriste et ses séquences emblématiques, elle attire non seulement les adolescents, mais aussi un public plus large curieux de découvrir ce nouveau médium interactif qui fascine le monde entier.


2. Une structure d’émission devenue légendaire

Chaque épisode de GamesMaster repose sur un format clair et percutant. Le cœur du programme est constitué de défis vidéoludiques : des joueurs, souvent des adolescents ou des célébrités, s’affrontent sur les jeux les plus populaires du moment. L’objectif ? Réussir un exploit (comme terminer un niveau en un temps record ou battre un boss difficile) pour gagner la fameuse GamesMaster Golden Joystick, trophée devenu culte dans la culture geek britannique.

Les défis sont entrecoupés de séquences humoristiques, d’actualités du jeu vidéo et surtout des conseils du “GamesMaster” lui-même, une intelligence artificielle incarnée par l’acteur écossais Sir Patrick Moore. Affichant une tête holographique imposante, auréolée de lumière, Patrick Moore, célèbre astronome et présentateur de la BBC, prêtait à cette figure son ton professoral et ironique. Il répondait aux questions des téléspectateurs, leur donnant des astuces et secrets sur les jeux de l’époque – un concept précurseur des tutoriels modernes et des chaînes YouTube spécialisées.


3. L’ère Dominic Diamond : humour, irrévérence et passion

Le succès de GamesMaster repose largement sur son animateur principal : Dominic Diamond. Son charisme, son humour grinçant et son attitude de rebelle écossais apportent à l’émission une personnalité unique. Là où d’autres programmes télévisés parlaient du jeu vidéo avec condescendance, GamesMaster le célébrait avec ferveur, tout en gardant une bonne dose de second degré.

Diamond ne se contentait pas de présenter : il vivait les jeux, moquait gentiment les perdants, taquinait les gagnants et créait une atmosphère de camaraderie qui séduisait le public. Son duo virtuel avec Patrick Moore formait un équilibre parfait entre ironie et érudition.

Lors de la deuxième saison, diffusée en 1992-1993, l’émission gagne en notoriété : de nouvelles rubriques apparaissent, les défis deviennent plus spectaculaires et les décors prennent des allures de cathédrales techno-gothiques. Les téléspectateurs attendent chaque semaine leur dose d’adrénaline vidéoludique.


4. L’évolution des saisons et la brève parenthèse Dexter Fletcher

Entre 1992 et 1998, GamesMaster connaît sept saisons, chacune ayant sa propre identité visuelle et thématique. La production investit dans des décors de plus en plus élaborés, notamment des environnements inspirés des films de science-fiction, des ruines de cathédrales ou des bases futuristes.

La troisième saison (1993-1994) voit l’arrivée temporaire de l’acteur Dexter Fletcher à la présentation, remplaçant Dominic Diamond, parti sur un différend avec la production. Fletcher, plus jeune et plus exubérant, apporte un ton différent, plus « showman », mais son passage reste controversé : les fans regrettent le sarcasme et la complicité de Diamond. Ce dernier fera son grand retour dès la saison suivante, acclamé par les téléspectateurs.

Les saisons suivantes explorent des formats variés : tournois multijoueurs, segments d’humour, interviews de célébrités et présentations exclusives de jeux à venir. L’émission devient un tremplin médiatique pour les nouvelles consoles comme la Super Nintendo, la Mega Drive, la PlayStation ou la Nintendo 64.


5. L’influence culturelle et la fin d’une époque

À son apogée, GamesMaster attire plus d’un million de téléspectateurs par épisode — un record pour une émission consacrée aux jeux vidéo dans les années 1990. Elle transforme une passion de niche en un phénomène culturel légitime. Pour toute une génération de joueurs britanniques, elle devient un rituel hebdomadaire, une porte d’entrée vers un univers encore mystérieux.

Mais à la fin des années 1990, les jeux vidéo deviennent plus complexes, Internet commence à s’imposer, et la télévision perd son rôle central dans la diffusion d’informations vidéoludiques. La septième saison, diffusée en 1998, clôt l’aventure sur une note nostalgique. Dominic Diamond rend hommage aux fans, Patrick Moore quitte son rôle emblématique, et GamesMaster tire sa révérence dans une atmosphère mêlant humour et émotion.


6. Héritage et renaissance

L’héritage de GamesMaster est immense. Il a non seulement popularisé le jeu vidéo dans les foyers britanniques, mais a aussi inspiré toute une génération de journalistes, de développeurs et de créateurs de contenu. L’émission a contribué à légitimer la culture vidéoludique comme un sujet sérieux de divertissement et de discussion, bien avant que les médias généralistes ne s’y intéressent réellement.

En 2021, Channel 4 relance GamesMaster sous la forme d’une mini-série spéciale. Le nouveau GamesMaster est incarné par Sir Trevor McDonald, autre figure respectée de la télévision britannique, reprenant le rôle holographique de sage vidéoludique autrefois tenu par Patrick Moore. La présentation est assurée par Robert Florence, Frankie Ward et Ty Logan, qui modernisent le format tout en rendant hommage à l’esprit original.

Cette renaissance, bien qu’éphémère, témoigne de la puissance nostalgique et culturelle du concept : trois décennies après sa création, GamesMaster reste un symbole du moment où le jeu vidéo est devenu un phénomène social reconnu et célébré.


7. Conclusion : la télévision comme miroir du jeu vidéo

GamesMaster n’était pas simplement une émission : c’était un tournant culturel. Elle a su conjuguer spectacle, passion et esprit communautaire, faisant des jeux vidéo un sujet de conversation grand public au même titre que le sport ou la musique.

Elle a aussi démontré qu’un média, quel qu’il soit, pouvait être pris au sérieux s’il était présenté avec authenticité, humour et respect pour son public. Aujourd’hui encore, son influence se fait sentir dans les shows modernes, les chaînes YouTube de gaming et même les tournois e-sport télévisés.

Si le monde du jeu vidéo a évolué bien au-delà de ce que GamesMaster pouvait imaginer en 1992, son message reste intact : le jeu n’est pas un simple passe-temps, c’est une culture, une passion et une aventure partagée.