Le 5 février 1993, 3x3 Eyes: Sanjiyan Henjou fit son apparition sur PC Engine CD-ROM², le public japonais découvrit une adaptation d’un tout autre niveau. Là où la version Super Famicom (Seima Kourinden) proposait une aventure textuelle semi-interactive, cette mouture exploitait pleinement le support CD-ROM pour offrir une expérience cinématique, doublée et orchestrée, plaçant définitivement le jeu dans la catégorie des « anime interactifs ».
C’est une œuvre hybride, entre visual novel, film d’animation et RPG narratif, qui témoigne d’une ambition rare à l’époque — celle de fusionner le manga, l’anime et le jeu vidéo en une seule entité artistique cohérente.
Un récit plus intime, fidèle et cinématographique
L’histoire reprend le fil du manga de Yuzo Takada avec davantage de fidélité que la version Super Famicom. On retrouve Pai, l’énigmatique jeune fille Sanjiyan Unkara, et Yakumo Fujii, devenu son immortel serviteur après avoir reçu le « Wu », le sceau de vie éternelle qui les lie à jamais.
Le scénario de Sanjiyan Henjou approfondit la dimension émotionnelle du lien entre les deux protagonistes : la culpabilité de Yakumo, sa dévotion absolue, et la quête de Pai pour retrouver son humanité sont ici présentées avec une intensité dramatique que seule la voix japonaise des acteurs pouvait véritablement transmettre.
Grâce au support CD-ROM², les développeurs ont intégré de longues séquences animées issues directement de l’anime, doublées par les comédiens officiels. Ces passages, insérés entre les phases interactives, donnent au jeu un rythme de série télévisée — un découpage en épisodes rythmés par des cinématiques et des choix narratifs à fort enjeu émotionnel.
Une immersion totale grâce au doublage et à la musique CD
L’une des grandes forces de 3x3 Eyes: Sanjiyan Henjou réside dans son habillage sonore. Le doublage intégral, d’une qualité exceptionnelle pour 1993, place le joueur au cœur d’un récit vivant. Les intonations de Pai, oscillant entre douceur, mystère et puissance divine, contrastent avec la voix calme et tourmentée de Yakumo, rendant leur relation plus crédible et poignante que jamais.
La bande-son orchestrale, enregistrée sur support CD, abandonne les sonorités synthétiques de la Super Famicom pour offrir des mélodies atmosphériques et organiques : des nappes mystiques tibétaines, des percussions rituelles, et des thèmes romantiques d’une grande finesse.
Cet accompagnement musical, rarement égalé dans les adaptations de manga de l’époque, sublime la narration et renforce la dimension quasi métaphysique du récit.
Un gameplay narratif épuré mais plus fluide
Sur le plan du jeu, Sanjiyan Henjou s’éloigne encore davantage du RPG classique. Les combats disparaissent presque entièrement, au profit d’une progression par dialogues et choix de réponses, dans la tradition des visual novels japonais.
L’écran est souvent divisé entre de grandes illustrations fixes d’excellente facture et des menus contextuels permettant d’enquêter, d’interagir ou de choisir la prochaine action de Yakumo.
Ce système, minimaliste mais élégant, permet une narration fluide et sans rupture, où le joueur n’est jamais distrait par des mécaniques inutiles. Les quelques séquences interactives servent surtout à renforcer la tension dramatique, par exemple lors de confrontations avec des démons ou des entités spirituelles.
Cette approche place le joueur non pas comme un combattant, mais comme un témoin intime du lien entre les deux héros — ce qui confère au jeu une tonalité mélancolique et introspective rare à l’époque.
Des graphismes au service de la narration
Le passage sur PC Engine CD-ROM² a permis à 3x3 Eyes: Sanjiyan Henjou de franchir un cap technique. Les portraits des personnages, peints à la main dans un style proche de l’anime, bénéficient d’une finesse remarquable. Les fonds détaillés évoquent l’Asie mystique du manga, entre temples en ruines, bibliothèques occultes et paysages tibétains baignés de lumière.
Mais c’est surtout la colorimétrie et l’éclairage qui marquent un saut qualitatif : les jeux d’ombre et de transparence, impossibles à reproduire sur Super Famicom, participent à l’ambiance occulte et poétique du jeu. Chaque tableau semble figé entre rêve et cauchemar, renforçant le sentiment de traverser un monde spirituel suspendu entre vie et mort.
Une œuvre transitoire entre manga, anime et jeu vidéo
Sanjiyan Henjou s’inscrit dans la lignée des œuvres qui ont expérimenté très tôt la convergence des médias. À mi-chemin entre film interactif et visual novel dramatique, il anticipe des productions comme Tokimeki Memorial: Forever With You ou Yū-No: A Girl Who Chants Love at the Bound of this World, qui approfondiront plus tard ce mariage entre narration, choix émotionnels et technologie CD.
Cette version s’adresse clairement aux fans du manga : il faut connaître un minimum l’univers de 3x3 Eyes pour saisir toute la portée du récit et des symboles. Mais pour ceux qui s’y plongent, l’expérience est d’une cohérence rare, presque contemplative — un voyage spirituel et amoureux mis en images avec la sincérité des premières grandes adaptations japonaises sur CD-ROM.
Verdict final : l’adaptation ultime pour les puristes
Note indicative : 17,5 / 20
3x3 Eyes: Sanjiyan Henjou est bien plus qu’un jeu : c’est une transposition émotionnelle et sensorielle de l’œuvre de Yuzo Takada.
Grâce à ses doublages magistraux, sa musique envoûtante et son rythme narratif quasi cinématographique, cette version PC Engine CD-ROM² surpasse la mouture Super Famicom en tout point.
Elle reste à ce jour la plus fidèle et la plus immersive adaptation vidéoludique de l’univers 3x3 Eyes, et un exemple emblématique de ce que le support CD permit de réaliser au début des années 1990.
Un chef-d’œuvre discret mais essentiel de l’âge d’or des jeux narratifs japonais — une œuvre où la foi, l’amour et la malédiction se confondent dans un sublime conte mystique.