Histoire des jeux vidéo

3x3 Eyes: Seima Densetsu

La légende mystique des trois yeux renaît sur Sega CD

Illustration

Lorsque 3x3 Eyes: Seima Densetsu paraît sur Mega-CD (ou Sega CD) le 23 Juillet 1993, il s’inscrit dans une période où Sega cherche à exploiter pleinement les capacités narratives et multimédias de son périphérique CD-ROM. Après les adaptations sur Super Famicom et PC Engine, cette nouvelle version se veut une synthèse ambitieuse : plus animée que la première, plus interactive que la seconde, et profondément ancrée dans le drame spirituel imaginé par Yuzo Takada.


Une réécriture du mythe : entre fidélité et liberté

Seima Densetsu adapte les premiers arcs du manga original tout en prenant quelques libertés scénaristiques pour rendre le récit plus linéaire et accessible aux nouveaux venus.
On y retrouve les héros emblématiques — Pai, la dernière Sanjiyan Unkara, et Yakumo Fujii, son immortel protecteur —, plongés dans une quête initiatique entre le Japon moderne et les terres tibétaines, où ils doivent affronter des créatures démoniaques et percer le secret de l’immortalité.

Contrairement à la version PC Engine (Sanjiyan Henjou), le jeu Sega CD privilégie une progression chapitrée et plus structurée, avec un rythme narratif alternant entre séquences d’animation doublées et phases interactives à choix multiples. Le récit conserve toute sa profondeur émotionnelle, mais le ton général s’oriente davantage vers l’aventure ésotérique que le drame romantique.


Un mariage entre visual novel et RPG narratif

Le gameplay de 3x3 Eyes: Seima Densetsu reprend les fondations du visual novel, mais les enrichit d’une composante d’exploration et de combat.
Les phases d’enquête permettent au joueur de se déplacer entre plusieurs zones (temples, ruelles, bibliothèques, appartements), d’interagir avec des personnages, ou de déclencher des événements clés. Les combats, bien que simplifiés, reposent sur un système semi-automatique inspiré des RPG classiques japonais, avec des animations stylisées et des invocations propres à l’univers mystique du manga.

Cette combinaison donne au jeu un équilibre surprenant : il conserve la densité narrative d’un roman interactif tout en offrant un sentiment d’action et de progression plus marqué que ses équivalents sur Super Famicom et PC Engine.


L’atout majeur du Mega-CD : le son et l’ambiance

L’une des grandes réussites de Seima Densetsu réside dans son design sonore. Le support CD permet ici une restitution musicale d’une qualité exceptionnelle pour l’époque : pistes orchestrales, thèmes chantés et musiques atmosphériques alternent selon la tension dramatique du moment.
Les voix japonaises des doubleurs officiels — dont celle de Megumi Hayashibara dans le rôle de Pai — apportent une crédibilité rare, renforçant la cohérence avec l’anime et le manga.

Les bruitages mystiques (souffles de vent, murmures rituels, cloches tibétaines) amplifient l’immersion et participent à l’installation d’une aura d’étrangeté et de spiritualité.
Le Mega-CD, souvent critiqué pour ses jeux FMV rudimentaires, trouve ici un usage exemplaire du support : des cinématiques animées bien intégrées et une mise en scène sobre mais efficace, au service du récit.


Une direction artistique entre anime et drame interactif

Graphiquement, 3x3 Eyes: Seima Densetsu s’inscrit dans une veine artistique proche de la version PC Engine, mais avec une palette de couleurs plus sombre et contrastée, adaptée à l’ambiance surnaturelle de la série.
Les portraits détaillés, les effets de lumière sur les invocations et la fluidité des transitions entre animation et jeu traduisent une maîtrise technique remarquable pour la machine.

On remarque aussi un soin particulier dans la composition des plans fixes : les visages expressifs, les arrière-plans symboliques et les jeux d’ombres créent une esthétique proche du cinéma d’animation japonais. Le tout conserve une identité plus mature que les adaptations précédentes, moins « manga coloré », plus proche du drame ésotérique.


Un ton plus grave, une symbolique accentuée

L’un des traits distinctifs de Seima Densetsu est son ton résolument plus dramatique et introspectif.
L’immortalité de Yakumo n’est plus seulement un pouvoir, mais une malédiction, tandis que Pai, déchirée entre sa nature divine et son humanité, oscille constamment entre douceur et destruction.
Les dialogues explorent la dualité de leur lien : la servitude, la fidélité éternelle, mais aussi la peur de l’abandon et la perte du soi.
Ce traitement, soutenu par une mise en scène sobre et contemplative, confère au jeu une véritable dimension philosophique et spirituelle, rare pour une production Mega-CD.


Comparaison avec les versions précédentes

Comparé à la version Super Famicom, Seima Densetsu bénéficie d’un immense bond technologique : doublage complet, musique orchestrale et narration continue sans coupure.
Face à la version PC Engine CD-ROM², la comparaison est plus nuancée. Cette dernière reste plus poétique et fluide dans sa narration, mais le Sega CD propose un équilibre plus ludique — une aventure où le joueur a davantage d’interactions, de choix et de tension narrative.

Ainsi, la version Sega CD se positionne comme le compromis idéal entre roman visuel et jeu d’aventure, réussissant à combiner émotion, action et mystère dans un format très maîtrisé.


Verdict final : la version la plus équilibrée et la plus "jouable"

Note indicative : 17 / 20

3x3 Eyes: Seima Densetsu s’impose comme une adaptation charnière : ni purement contemplative ni purement ludique, elle incarne la synthèse parfaite de ce que le support CD pouvait offrir au début des années 1990.
Sa bande-son magistrale, ses doublages soignés, sa direction artistique mature et sa mise en scène inspirée en font l’un des meilleurs visual novels interactifs du Mega-CD, souvent méconnu en dehors du Japon.

C’est une œuvre qui dépasse la simple adaptation : une méditation sur l’amour, la foi et l’immortalité, dissimulée derrière le voile d’une aventure surnaturelle.