Sortie le 28 Juilllet 1992, alors que la Super Famicom dominait le marché japonais, 3x3 Eyes: Seima Kourinden fit partie de ces jeux qui cherchaient à repousser les limites narratives du RPG japonais classique. Inspiré du manga culte de Yuzo Takada — un mélange unique de mysticisme tibétain, d’action et de romantisme surnaturel —, le jeu s’inscrit dans la grande tradition des adaptations ambitieuses de l’ère 16 bits.
Un univers mystique et tragique
Le joueur incarne Yakumo Fujii, un jeune homme ordinaire dont la vie bascule lorsqu’il rencontre Pai, la dernière descendante d’une ancienne race immortelle appelée les Sanjiyan Unkara (« les êtres à trois yeux »). Victime d’une malédiction, Yakumo devient son immortel serviteur après avoir été tué et ressuscité par Pai elle-même. Ensemble, ils parcourent le monde à la recherche d’un remède qui pourrait rendre à Pai son humanité.
Le scénario du jeu, divisé en chapitres, suit fidèlement plusieurs arcs du manga original tout en intégrant des quêtes inédites, spécialement écrites pour la version Super Famicom. Cette fidélité à la matière d’origine confère au jeu une profondeur émotionnelle rare pour l’époque — un mélange de romance, d’aventure et de drame spirituel.
Une approche hybride entre RPG et visual novel
3x3 Eyes: Seima Kourinden n’est pas un RPG au sens traditionnel. Le titre adopte un système de progression scénarisé, combinant des phases de dialogue proches du visual novel et des combats en tour par tour inspirés du Dragon Quest-like, mais plus dynamiques dans la mise en scène.
Les déplacements se font sur une carte découpée en zones semi-linéaires, chaque étape faisant avancer la narration plutôt que de favoriser l’exploration libre. Les combats sont ponctués de séquences animées particulièrement soignées pour un jeu Super Famicom de 1992 : portraits expressifs, transitions douces, et effets spéciaux simulant la magie des Sanjiyan avec des jeux de transparence et de rotation très convaincants pour l’époque.
Une direction artistique fidèle au manga
Graphiquement, le jeu surprend par la qualité de sa mise en scène. Les sprites sont larges, les décors détaillés, et les visages des personnages semblent sortis tout droit du manga. L’interface claire, inspirée des RPG narratifs de PC japonais (comme Ys ou Tenshi no Uta), contribue à renforcer cette impression de « roman interactif animé ».
L’ambiance sonore, composée par Takayuki Hattori, s’appuie sur des thèmes atmosphériques évoquant à la fois l’aventure, la mélancolie et l’ésotérisme. La Super Famicom, réputée pour ses capacités sonores avancées, restitue ici une palette musicale riche et évocatrice.
Des combats au service du récit
Contrairement aux RPG classiques où le grind est central, Seima Kourinden privilégie la narration. Les combats servent surtout à traduire la tension dramatique des événements. Les pouvoirs de Pai, par exemple, se manifestent de façon spectaculaire — elle peut invoquer ses capacités de Sanjiyan pour anéantir un adversaire en un seul coup, mais au prix d’une grande fatigue.
Yakumo, quant à lui, dispose d’un système d’auto-régénération inspiré de sa condition d’immortel, ce qui apporte un équilibre intéressant aux affrontements.
Ce système simple mais symboliquement fort fait du gameplay un prolongement naturel de la relation entre les deux protagonistes : Pai, la puissance spirituelle fragile ; Yakumo, la résilience humaine indestructible.
Une œuvre de transition entre deux mondes
Sorti en plein âge d’or du RPG japonais, 3x3 Eyes: Seima Kourinden se distingue par son orientation narrative et son ambition cinématique, bien avant que des titres comme Lunar ou Suikoden ne popularisent cette approche sur CD-ROM.
Il n’était pas question ici d’un jeu d’action ou d’un simple produit dérivé : c’était une expérience narrative interactive cherchant à traduire la mythologie dense du manga de Takada dans un format vidéoludique cohérent.
Une curiosité précieuse pour les amateurs de mangas
Si le jeu n’a jamais été exporté hors du Japon, il demeure une pièce importante du patrimoine vidéoludique inspiré de la bande dessinée japonaise. On y retrouve ce soin du détail narratif, cette mélancolie et cette fascination pour la dualité entre l’humain et le divin, entre la mortalité et l’immortalité.
Pour les fans du manga, Seima Kourinden est une adaptation respectueuse, presque contemplative. Pour les joueurs curieux, c’est une plongée dans un pan méconnu du RPG japonais pré-CD, à la frontière entre le roman visuel et l’aventure mystique.
Verdict final : une gemme discrète de la Super Famicom
Note indicative : 16/20
3x3 Eyes: Seima Kourinden est un jeu rare, poétique et singulier. Son rythme lent, son accent mis sur le scénario plutôt que sur la progression, et sa direction artistique raffinée en font une expérience atypique dans le catalogue de la Super Famicom.
Ce n’est pas un titre destiné à ceux qui cherchent l’action ou la complexité ludique, mais bien à ceux qui aiment les histoires bien racontées, baignées de spiritualité et de mystère oriental.
Un joyau discret, à (re)découvrir pour comprendre comment, dès 1992, certains développeurs japonais cherchaient déjà à faire du jeu vidéo un médium narratif à part entière.