Lorsque Policenauts arrive sur 3DO en 1995, le Japon découvre non seulement l’un des jeux les plus ambitieux jamais conçus pour la console de Panasonic, mais aussi une démonstration éclatante du talent narratif d’un créateur déjà remarqué avec Snatcher : Hideo Kojima. Ce portage, dans ses deux incarnations (pilote et version finale), constitue une pièce essentielle pour comprendre l’évolution du récit vidéoludique japonais au milieu des années 1990.
🛰️ Une ambition cinématographique rare sur 3DO
Dès la première version de démonstration, sortie le 21 avril 1995, Policenauts impressionne par son ambition narrative et visuelle. Cette édition « pilote » se voulait une vitrine technologique et artistique : Kojima y testait la capacité du support CD-ROM du 3DO à restituer des séquences animées d’une qualité proche de l’anime professionnel.
On y découvrait déjà les grandes lignes du scénario : Jonathan Ingram, ancien policier spatial du programme Policenauts, disparaît lors d’une mission en orbite autour de Beyond Coast, colonie spatiale terrestre. Retrouvé des années plus tard dans un caisson de cryostase dérivant dans l’espace, il revient sur Terre vieilli et désabusé. Lorsqu’une enquête le ramène vers Beyond, il se retrouve pris dans une toile de complots, de corruption et de drames personnels.
La version finale, publiée le 29 septembre 1995, perfectionne ce matériau brut. Cette édition enrichie développe les arcs secondaires, améliore la fluidité des transitions, et ajoute plusieurs séquences d’animation inédites. Le résultat est un jeu qui, malgré la modestie du hardware 3DO, déploie un univers d’une densité scénaristique rare pour l’époque.
🔫 Entre visual novel et film noir spatial
Policenauts reprend la structure narrative de Snatcher, mais en l’élevant à un degré de réalisme et de maturité inédit. On y retrouve le style Kojima :
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Mélange des genres — polar, science-fiction, drame psychologique, critique sociale et même réflexion sur la paternité et la technologie.
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Mise en scène cinématographique — cadrages serrés, dialogues doublés avec soin, mise en musique dramatique, et un goût prononcé pour les transitions dignes d’un film d’action.
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Univers crédible — Beyond Coast est une colonie futuriste traitée comme une véritable société : architecture, économie, lois, médecine spatiale, relations entre humains et « space-adaptés ».
Le joueur explore des environnements détaillés, interagit avec les personnages via des menus contextuels et assiste à des séquences animées doublées par des comédiens japonais renommés, renforçant la dimension immersive.
Certaines scènes évoquent ouvertement les classiques du cinéma américain : Lethal Weapon, Blade Runner ou Outland — Kojima assumant son admiration pour le buddy movie et la SF des années 1980.
💾 Les spécificités techniques de la version 3DO
Le passage du PC-9821 à la 3DO ne s’est pas limité à un simple portage : il a permis d’exploiter les capacités CD-ROM vidéo et audio de la console, donnant au jeu une atmosphère plus fluide et homogène.
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Les séquences animées sont plus colorées, mieux compressées et profitent d’un framerate légèrement supérieur.
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La bande-son, toujours supervisée par Tappi Iwase, bénéficie d’un mixage stéréo plus net et d’effets surround légers (selon les lecteurs 3DO compatibles).
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Les modèles de personnages ont gagné en netteté, les portraits affichant davantage de nuances.
Cependant, la 3DO n’était pas exempte de limites :
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Quelques ralentissements surviennent lors des séquences interactives.
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Certains joueurs ont noté un léger décalage audio/vidéo dans les scènes plus longues.
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L’ergonomie des menus reste pensée pour un environnement PC, parfois un peu lourde sur console.
Mais malgré cela, le portage est salué pour sa fidélité et son rendu « cinématique », surpassant en fluidité la version PC-9821. Pour beaucoup de fans, Policenauts 3DO demeure la version la plus équilibrée avant la sortie de la version PlayStation en 1996.
🎭 Version pilote vs version finale : ce qui change
Les deux éditions de 1995 ne se confondent pas :
| Élément | Version pilote (avril 1995) | Version finale (septembre 1995) |
|---|---|---|
| Contenu narratif | Première moitié du jeu, dialogues abrégés | Histoire complète, ajouts scénaristiques |
| Graphismes | Moins détaillés, animation parfois incomplète | Plus d’animations et effets de transitions |
| Doublage | Partiel, certaines lignes muettes | Doublage intégral avec casting étoffé |
| Musique | Version de travail, mixage mono | Mixage stéréo complet et musiques additionnelles |
| Objectif | Démonstration technologique et narrative | Sortie commerciale définitive |
La version pilote, aujourd’hui rare, tient presque du prototype jouable destiné à la presse et aux fans les plus curieux. La version finale, elle, assoit définitivement Policenauts comme une œuvre à part entière du catalogue 3DO, digne d’un film d’animation interactif.
🧠 Une œuvre de transition entre Snatcher et Metal Gear Solid
Policenauts sur 3DO marque une étape cruciale dans la maturation de Kojima. On y retrouve déjà des éléments qu’il développera dans Metal Gear Solid :
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L’intégration du cinéma dans la structure vidéoludique ;
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La critique des institutions militaires et policières ;
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Le questionnement sur la mémoire, la loyauté et la technologie.
Le duo Jonathan Ingram / Ed Brown préfigure clairement le tandem Solid Snake / Otacon, et les dialogues introspectifs annoncent la philosophie de la saga Metal Gear à venir. Kojima posait ici les fondations de son style narratif : hybride, immersif, et profondément humain.
L’odyssée spatiale méconnue du 3DO
Malgré le faible succès commercial de la console, Policenauts version 3DO demeure un chef-d’œuvre méconnu de la décennie 1990. Son mélange d’ambition narrative, de richesse thématique et d’audace visuelle en fait une pièce d’orfèvrerie pour les amateurs de jeux d’aventure japonais.
Il est souvent cité comme l’une des raisons de posséder un 3DO au Japon, tant son empreinte audiovisuelle dépasse la moyenne des productions de l’époque.
Pour les passionnés de Kojima, cette version constitue un maillon essentiel entre Snatcher et Metal Gear Solid, un laboratoire d’idées où se sont forgés les codes narratifs d’un auteur désormais légendaire.