À une époque où les jeux vidéo cherchaient encore leur place entre narration et interactivité, Hideo Kojima livrait, avec Policenauts, une œuvre de science-fiction d’une profondeur rarement atteinte. Sorti le 29 juillet 1994 sur PC-9821, le titre est à la fois roman visuel, film interactif et polar futuriste, héritier direct de Snatcher (1988), dont il affine les codes et la maturité.
Une genèse entre hommage et réinvention
Après le succès d’estime de Snatcher sur PC-88 et MSX2, Kojima ambitionne de créer un jeu encore plus cinématographique. Il rêve d’un thriller spatial inspiré de Lethal Weapon, Blade Runner et 2001: A Space Odyssey.
Le résultat, Policenauts, naît sur le puissant PC-9821 de NEC, l’un des rares micro-ordinateurs japonais capables d’afficher des vidéos digitalisées et des graphismes 256 couleurs avec fluidité.
Le projet est long et complexe : Kojima y dirige l’écriture, la mise en scène et le découpage des séquences comme un véritable réalisateur de cinéma. Le jeu s’adresse d’ailleurs à un public adulte, friand d’enquêtes, de psychologie et de tension dramatique.
🚀 Synopsis : entre la Terre et Beyond Coast
L’histoire débute dans un futur proche : l’humanité a colonisé l’espace et fondé une station orbitale baptisée Beyond Coast.
Jonathan Ingram, ancien membre d’un programme d’élite appelé les « Policenauts », est victime d’un accident lors d’une mission spatiale et disparaît dans le vide. Son corps est miraculeusement retrouvé des années plus tard, en vie, grâce à un module cryogénique.
Revenu sur Terre, il vit en détective privé jusqu’au jour où son ex-femme lui demande de retrouver son mari disparu sur Beyond Coast. Cette enquête va le ramener sur la colonie spatiale et l’entraîner dans une conspiration mêlant politique, biotechnologie, et corruption policière.
Kojima signe ici un récit profondément humain : la nostalgie du passé, le déracinement, la confiance brisée, et la peur de la déshumanisation technologique. Le jeu aborde des thèmes adultes — dépendance aux implants, trafic d’organes, discrimination spatiale — avec une subtilité rare pour son époque.
🧠 Gameplay : le visual novel à la japonaise
Sur PC-9821, Policenauts se présente comme une aventure point-and-click à interface graphique, divisée entre phases d’investigation et dialogues interactifs.
Le joueur explore les environnements, interroge les personnages et collecte des indices à la manière d’un roman policier.
Certaines séquences d’action, jouables en temps réel (notamment les fusillades), utilisent le pointeur de la souris pour viser, préfigurant le gameplay hybride que Kojima réutilisera plus tard dans Metal Gear Solid pour combiner tension narrative et action immédiate.
Chaque lieu regorge de détails observables, souvent inutiles mais toujours riches de sens : regarder un bureau, examiner un cadre, poser une question annexe — tout est pensé pour renforcer l’immersion narrative et psychologique.
Policenauts est un jeu atypique, exigeant et profondément personnel. Il ne plaira peut-être pas à tous — ceux qui cherchent un gameplay nerveux ou un jeu d’action pur seront probablement déçus. Mais pour qui aime les récits ambitieux, les univers mélancoliques et les jeux qui osent, cette œuvre de 1994 est un jalon à redécouvrir.