Histoire des jeux vidéo

The Snatcher Version MSX2

La mutation d’un thriller cyberpunk en jeu narratif total

Illustration

Deux semaines seulement après sa première apparition sur le NEC PC-8801, Snatcher renaît sur une autre machine : le MSX2, le 13 décembre 1988.
Ce n’est pas un simple port technique. Cette version symbolise une seconde gestation, une transposition pensée pour un public plus large, mais surtout un perfectionnement discret du prototype que représentait l’édition PC-8801.
Konami, déjà familier du MSX grâce à Metal Gear et Vampire Killer, maîtrise ici les limites de la machine pour livrer un jeu plus stable, plus expressif et à bien des égards plus abouti sur le plan narratif.

Le MSX2 : un terrain familier pour Konami
Le MSX2 était, en 1988, une plate-forme à la fois accessible et puissante pour son époque : processeur Z80A, palette de 512 couleurs, modes d’affichage avancés, et puce sonore SCC (Sound Custom Chip) que Konami savait exploiter avec virtuosité.
Ces caractéristiques permettaient d’aller plus loin dans la finesse des sprites, des portraits et surtout des dégradés lumineux — essentiels pour rendre l’atmosphère néonisée de Neo Kobe City crédible.

Contrairement au PC-8801, souvent associé à un public de technophiles et de joueurs de visual novels adultes, le MSX2 offrait un terrain plus grand public. Cette différence d’audience a eu une influence directe sur la structure narrative et le rythme du jeu.

Une narration plus fluide et mieux cadencée
La version MSX2 conserve l’intégralité du scénario original, mais Kojima et son équipe en profitent pour réécrire et réorganiser certains passages.
Les transitions entre lieux et dialogues deviennent plus rapides grâce à une gestion de la mémoire mieux optimisée : moins d’écrans de chargement, moins de ruptures visuelles, et une meilleure continuité dans la lecture du récit.

Certaines lignes de dialogue sont reformulées pour rendre les personnages plus naturels, et les réactions de Gillian Seed, parfois figées sur PC-8801, gagnent ici en nuances. On ressent davantage son ironie, sa nervosité, ou ses hésitations — des détails qui accentuent la dimension humaine du protagoniste.

Sur le plan narratif, le jeu reste divisé en trois grands actes (Act 1 : Investigation, Act 2 : Tragedy, Act 3 : Conclusion), mais la version MSX2 rééquilibre leur durée : l’acte 1, jugé trop long sur PC-8801, est condensé, tandis que les événements de la fin sont rendus plus clairs par quelques lignes de texte supplémentaires.

Graphismes : des contrastes maîtrisés et une mise en scène plus expressive
Le rendu visuel du MSX2 n’est pas plus « réaliste », mais il est plus expressif.
Les artistes ont retravaillé la colorimétrie et la composition des scènes :

la pluie de Neo Kobe City apparaît plus lisible grâce à des dégradés bleus et gris plus variés,

les portraits bénéficient de contours plus nets et d’ombres plus subtiles,

les interfaces (menus, inventaire, terminaux) sont plus lisibles et plus homogènes.

Certaines scènes emblématiques — comme l’arrivée en hélicoptère au QG des Junkers ou la découverte du premier cadavre dans le laboratoire — gagnent en densité visuelle. La palette de 512 couleurs du MSX2, bien exploitée, donne une impression de relief absente du PC-88.

Le MSX2 offre aussi un affichage plus rapide des sprites, ce qui permet des séquences d’action légèrement plus dynamiques, même si ces moments restent rares et ponctuels.

Son et ambiance : la maturité du SCC Konami
C’est sur le plan sonore que le MSX2 impose sa singularité.
Grâce à la puce SCC, le jeu propose une bande-son plus ronde, plus vibrante, avec des basses profondes et des mélodies plus mémorables.
Les thèmes principaux — notamment Theme of JUNKER HQ et Innocent Girl — gagnent une présence quasi cinématographique.

La musique ne se contente plus d’accompagner, elle sculpte l’émotion.
L’exploration des ruelles, la tension des enquêtes, le drame des révélations… tout est soutenu par une cohérence sonore qui rapproche le jeu du format “thriller audio-visuel”.

En 1988, rares étaient les jeux à offrir une telle synchronicité entre écriture, image et son.
Le MSX2 devient ainsi la première version de Snatcher à atteindre ce qu’on peut appeler un équilibre entre média textuel et sensoriel.

Une interface retravaillée et plus intuitive
L’interface de Snatcher sur MSX2 marque une nette amélioration.
Les menus sont condensés, les commandes de sélection (“LOOK”, “TALK”, “INVESTIGATE”, etc.) sont plus réactives et mieux hiérarchisées, limitant les moments de tâtonnement du joueur.
Ce gain de fluidité rend la progression plus naturelle : le jeu paraît moins répétitif, moins « puzzle textuel », et davantage “enquête interactive”.

On note aussi une meilleure gestion du curseur contextuel : selon la scène, le jeu suggère désormais certaines actions plutôt que de laisser le joueur les deviner, ce qui rend l’expérience plus narrative et moins mécanique.

Une tension plus soutenue et une meilleure gestion du rythme
Le découpage des scènes, légèrement différent de la version PC-88, accentue la montée en tension.
La version MSX2 introduit de petites animations supplémentaires (mouvements de caméra, transitions, clignotements d’alerte) qui dynamisent l’enquête et maintiennent la vigilance du joueur.
Cette tension constante rapproche le jeu d’un film interactif, alors que la version PC-8801 restait plus “roman illustré”.

L’ensemble devient plus cohérent et plus immersif, annonçant déjà les ambitions cinématographiques des futures versions CD.

Comparaison entre Snatcher PC-8801 (26 novembre 1988) et MSX2 (13 décembre 1988)
Élément comparé PC-8801 MSX2
Contexte de sortie Version originale, prototype narratif ambitieux destiné à un public de micro-ordinateurs Version élargie pour le grand public, bénéficiant de l’expérience acquise et d’un hardware plus familier
Graphismes Palette restreinte mais direction artistique très marquée (ombres, ambiance “noir”) Palette plus large, meilleure définition, contrastes plus doux et images plus expressives
Mise en scène Très littéraire, succession de tableaux fixes Plus fluide, transitions plus cinématiques, effets visuels ajoutés
Son et musique Puce FM (YM2608) : son clair mais sec Puce SCC : son plus riche, mélodies mieux équilibrées et plus immersives
Structure narrative Trois actes, rythme parfois inégal (Acte 1 long) Récit mieux cadencé, transitions plus dynamiques, dialogues retravaillés
Interface Sélection d’actions parfois lourde et répétitive Interface allégée et mieux contextualisée, navigation intuitive
Public visé Amateurs de visual novels, public “adulte PC” Joueurs MSX plus jeunes, public plus large mais sensible aux récits
Tonalité Plus introspective, lente, presque contemplative Plus directe, plus rythmée, davantage orientée “thriller”
Impact global Oeuvre fondatrice du style Kojima, atmosphère unique mais aride Version la plus aboutie avant l’ère CD, synthèse entre narration et rythme de jeu
Synthèse comparative
La version PC-8801 est la source originelle, brute, littéraire, expérimentale — un jeu d’auteur qui cherche à définir un langage narratif nouveau.

La version MSX2, elle, en est la métamorphose maîtrisée : plus fluide, plus mélodieuse, plus équilibrée, et plus accessible sans trahir la densité du propos.

Sur PC-88, Snatcher est un roman graphique en mouvement.
Sur MSX2, il devient un film interactif avant l’heure.

La première version fascine par son audace intellectuelle, la seconde séduit par son sens du rythme et sa maîtrise technique.
Elles forment à elles deux la matrice d’un concept que Kojima perfectionnera dans ses jeux suivants : un équilibre entre récit, tension, et immersion sensorielle.