Une œuvre culte ressuscitée sur la 32 bits de Sega
Sorti le 29 mars 1996 au Japon sur Sega Saturn, Snatcher est la version la plus aboutie du célèbre visual novel cyberpunk conçu par Hideo Kojima (le futur créateur de Metal Gear Solid).
Développé et édité par Konami, ce portage marque la dernière incarnation majeure de Snatcher, une œuvre d’abord née sur PC-8801 et MSX2 en 1988, avant d’être rééditée sur PC Engine CD-ROM² en 1992 et Mega-CD (Sega CD) en 1994.
La version Saturn s’impose comme la réinterprétation la plus riche techniquement et la plus fidèle à la vision originale de Kojima, exploitant pleinement les capacités du support 32 bits pour offrir une expérience quasi-cinématographique.
Un univers cyberpunk aux influences multiples
L’action de Snatcher se déroule en 2047, dans une mégalopole asiatique baptisée Neo Kobe City, une ville pluvieuse et néonisée inspirée de Blade Runner et des polars noirs américains.
Le joueur y incarne Gillian Seed, un agent du service d’investigation JUNKER (Japanese Undercover Neuro-Kinetic Elimination Ranger), chargé d’enquêter sur les Snatchers — des androïdes meurtriers capables d’assassiner des humains pour voler leur apparence.
L’ambiance sombre, les dialogues introspectifs, les références à la paranoïa technologique et aux limites de l’humanité font de Snatcher un thriller d’anticipation avant-gardiste, situé à la croisée de la science-fiction et du roman noir.
Le gameplay : entre roman interactif et polar d’enquête
Le cœur du jeu repose sur une structure de visual novel enrichie de mécaniques d’enquête.
Le joueur explore différents lieux, interroge des témoins, collecte des indices et prend des décisions qui influencent la progression de l’enquête.
L’interface se compose d’un menu de commandes (Examiner, Parler, Se Déplacer, Montrer, Utiliser) permettant une interaction intuitive avec l’environnement.
Certaines séquences intègrent des phases de tir à la première personne, où le joueur doit éliminer des ennemis dans une grille à neuf zones — un héritage des premières versions du jeu sur micro-ordinateurs japonais.
Sur Saturn, ces passages sont fluides, rapides et agrémentés de nouveaux effets visuels qui renforcent la tension dramatique.
Une version remastérisée à la perfection
La version Sega Saturn constitue une refonte technique majeure :
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Amélioration des graphismes, redessinés en haute résolution 32 bits.
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Colorimétrie enrichie, avec des dégradés lumineux et des effets de transparence inédits.
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Nouvelles animations dans les dialogues et les transitions.
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Doublage intégral japonais de très haute qualité, enregistré avec les acteurs de la version PC Engine.
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Musique remasterisée, avec des thèmes orchestraux CD-DA qui renforcent la tension et la mélancolie de l’intrigue.
Le jeu tire également parti du support double CD-ROM, qui permet d’intégrer des cinématiques supplémentaires et une mise en scène plus fluide que dans les versions Mega-CD et PC Engine.
Un scénario dense et existentiel
Comme souvent chez Kojima, Snatcher dépasse le cadre du simple jeu d’aventure.
Sous sa trame policière se cachent des réflexions philosophiques sur :
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la nature de l’identité,
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la mémoire et la conscience,
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et la peur de la substitution technologique.
L’univers du jeu évoque les grandes œuvres de science-fiction — Blade Runner, Terminator, Akira — tout en intégrant une sensibilité japonaise autour du trauma, du clonage et de la perte.
L’histoire de Gillian Seed, à la recherche de son passé et de sa femme Jamie, s’entremêle avec celle des Snatchers dans une révélation finale aux accents métaphysiques.
Cette narration, portée par un rythme maîtrisé et un ton mature, a marqué une génération de joueurs.
L’esthétique cyber-noir sublimée par la Saturn
Le hardware 32 bits de la Sega Saturn permet à Snatcher de briller par son esthétique de film interactif.
Neo Kobe City, éclairée de néons et noyée sous la pluie, bénéficie de textures plus détaillées, de portraits expressifs, et d’un design sonore immersif avec un fond permanent de bruits urbains, de moteurs et de pluie.
Les environnements — bureaux, ruelles, laboratoires, clubs — rappellent les films noirs des années 40 revisités par la technologie futuriste.
La mise en scène semi-cinématographique, héritée des ambitions narratives de Kojima, prend ici toute sa dimension.
Chaque plan semble pensé comme un cadrage de cinéma, annonçant déjà la grammaire visuelle que le créateur perfectionnera plus tard dans Metal Gear Solid.
Réception et postérité
À sa sortie en 1996, Snatcher sur Sega Saturn a été salué par la presse japonaise spécialisée (Famitsu, Sega Saturn Magazine) pour son scénario exceptionnel, sa direction artistique et son doublage de qualité studio.
Cependant, le jeu n’a jamais été localisé à l’international, contrairement à la version Mega-CD sortie en anglais deux ans plus tôt — un choix regretté par de nombreux fans occidentaux.
Il est aujourd’hui considéré comme la version définitive de Snatcher, souvent recherchée par les collectionneurs pour sa finition et sa fidélité au projet original.
De nombreux critiques la voient comme l’un des chefs-d’œuvre méconnus de la Saturn, au même titre que Policenauts (autre jeu de Kojima sorti la même année).
Snatcher : un héritage intemporel
Plus qu’un simple jeu, Snatcher est une œuvre fondatrice du récit vidéoludique moderne.
Il a inspiré toute une génération de créateurs de visual novels et de jeux d’enquête narratifs, de Phoenix Wright à Detroit: Become Human.
Le portage Saturn de 1996 demeure le chant du cygne de cette saga, et l’une des plus belles démonstrations de la fusion entre narration, design et émotion à l’ère pré-3D.
Un chef-d’œuvre cyberpunk immortel
Presque trente ans après sa sortie, Snatcher sur Sega Saturn conserve une aura particulière : celle d’un jeu en avance sur son temps, d’un film interactif visionnaire où Kojima a posé les fondations du jeu narratif cinématique moderne.
Son atmosphère moite et paranoïaque, son intrigue complexe et sa réalisation soignée en font un classique absolu de la Sega Saturn et du genre cyberpunk.
Un titre indispensable pour tout amateur de science-fiction et d’histoire du jeu vidéo — et une preuve éclatante que l’émotion et la narration peuvent être aussi puissantes sur un écran de 32 bits que dans une salle de cinéma.