Sorti initialement le 25 avril 2013 sur Xbox 360, puis porté sur PlayStation 3 et PlayStation Vita, avant d’être adapté sur PlayStation 4 en 2018 et sur Microsoft Windows et Nintendo Switch en 2019, Steins;Gate: Linear Bounded Phenogram représente sans doute l’œuvre la plus ambitieuse et la plus introspective de la franchise Steins;Gate.
Développé par 5pb. et Nitroplus, ce spin-off majeur s’éloigne du modèle du visual novel centré sur un seul protagoniste pour offrir une mosaïque de récits parallèles, chacun explorant un fragment du vaste multivers de la série.
Contrairement à des épisodes humoristiques comme My Darling’s Embrace ou expérimentaux comme Variant Space Octet, Linear Bounded Phenogram se distingue par son approche narrative mature, émotive et conceptuelle.
C’est à la fois une déconstruction du mythe d’Okabe Rintarō et une exploration des destins alternatifs des personnages emblématiques de la saga.
Une vision chorale du multivers
L’idée directrice de Linear Bounded Phenogram est simple mais géniale :
et si Steins;Gate n’était pas seulement l’histoire d’un homme face au temps, mais une infinité de récits vécus simultanément dans des mondes parallèles ?
Le jeu abandonne la narration unique centrée sur Okabe pour proposer onze histoires indépendantes, chacune se déroulant dans une world line différente, écrites par différents scénaristes issus de l’industrie du visual novel.
Cette structure anthologique en fait une œuvre profondément littéraire, presque expérimentale, à la croisée du roman collectif et du cinéma choral.
Chaque chapitre met en lumière un personnage différent du Future Gadget Laboratory ou de son entourage — Okabe, Kurisu, Mayuri, Daru, Moeka, Faris, Luka, Suzuha —, chacun confronté à une version alternative de son existence.
Un titre énigmatique à portée philosophique
Le titre Linear Bounded Phenogram n’a pas été choisi au hasard.
En physique et en philosophie du temps, un phenogram désigne la trace observable d’un phénomène dans un espace limité.
Autrement dit, chaque histoire du jeu serait une empreinte temporelle isolée, un fragment visible parmi l’infinité des possibles.
Le qualificatif linear bounded (“linéairement borné”) suggère que ces récits, bien que parallèles, sont contenus dans des limites perceptibles, un clin d’œil à la thématique centrale de Steins;Gate : l’impossibilité d’observer l’ensemble du multivers dans sa totalité.
Le joueur explore donc onze lignes temporelles, toutes différentes, mais liées par un même fil invisible : l’humanité des personnages face à la fatalité du temps.
Les onze récits parallèles : fragments d’un même destin
Sans dévoiler tous les détails, voici un aperçu des récits les plus marquants de Linear Bounded Phenogram :
-
“Epigraph of the Closed Curve” (Okabe Rintarō)
Okabe vit dans un monde où Kurisu n’existe pas. Rongé par la solitude et la perte, il tente de redonner un sens à sa vie scientifique. C’est un chapitre d’introspection douloureuse, empreint de mélancolie et de lucidité. -
“Vermilion Rent” (Makise Kurisu)
Kurisu explore la ligne temporelle où elle est restée en Amérique. Elle y découvre les conséquences émotionnelles de la science sans les liens humains qui la rendaient vivante. -
“Time-Leap Machine of Love and Justice” (Itaru "Daru" Hashida)
Un épisode plus léger et comique, où Daru crée une machine temporelle pour... améliorer ses chances amoureuses. Derrière l’humour, une réflexion tendre sur la solitude et l’imaginaire geek. -
“Chaos and His Majesty” (Faris NyanNyan)
Faris devient la figure centrale d’un récit oscillant entre réalité et illusion, où son pouvoir d’imagination influence littéralement la structure du monde. -
“Bystander’s Perspective” (Moeka Kiryu)
L’un des chapitres les plus sombres, montrant Moeka dans une introspection sur la manipulation, la peur et la rédemption. Le jeu y adopte un ton psychologique proche du thriller. -
“An Opened Voice” (Mayuri Shiina)
Mayuri, habituellement figure d’innocence et de douceur, devient ici narratrice d’un conte mélancolique, où le temps semble figé autour d’un seul souvenir. -
“Father’s Shadow” (Suzuha Amane)
Un épisode poignant qui relie le passé et le futur de Suzuha, explorant la solitude du voyageur temporel et la quête de sens dans un monde en boucle.
Chaque récit possède sa propre atmosphère, sa musique, et son ton narratif distinct, mais tous convergent vers une même vérité : le poids du souvenir et la fragilité du libre arbitre.
Un style narratif varié et une mise en scène renforcée
Sur le plan esthétique, Linear Bounded Phenogram conserve le style graphique typique de la série, avec des illustrations de Huke (l’artiste derrière Black★Rock Shooter), mais il y ajoute une cinématographie plus dynamique.
Les transitions, cadrages et effets visuels accentuent la sensation de mouvement entre les lignes temporelles.
Le jeu introduit aussi plus de musique originale, composée par Takeshi Abo, alternant entre thèmes dramatiques, électroniques et contemplatifs.
Chaque chapitre possède une identité sonore propre, renforçant le sentiment d’exploration émotionnelle.
Thèmes : multiplicité, mémoire et fatalité
Linear Bounded Phenogram approfondit les thèmes fondateurs de Steins;Gate :
-
la multiplicité des réalités,
-
le poids moral du choix,
-
la nostalgie de l’irréversible,
-
et la fragilité de la perception humaine du temps.
Mais ici, ces concepts prennent une forme plus intime et existentielle.
Le temps n’est plus un problème scientifique à résoudre, mais une matière vivante qui façonne les êtres.
Chaque personnage fait face à ce qu’il aurait pu devenir — ou à ce qu’il n’a jamais été.
C’est une méditation sur le “et si”, sur la relativité des regrets et sur la nature des liens humains à travers les dimensions.
Réception critique et héritage
À sa sortie en 2013, Steins;Gate: Linear Bounded Phenogram reçoit un accueil critique très favorable au Japon.
Les joueurs saluent la richesse du scénario, la qualité des dialogues et la profondeur psychologique de chaque épisode.
Les critiques occidentales, lors de sa sortie sur PS4 et PC, soulignent sa maturité narrative et sa capacité à renouveler la formule du visual novel sans la trahir.
Certains fans le considèrent même comme le “meilleur spin-off” de toute la série, surpassant My Darling’s Embrace et se plaçant juste en dessous du jeu original en termes d’émotion et d’écriture.
Les anthologies narratives qui suivront — comme Chaos;Child: Love Chu☆Chu!! — s’inspireront de sa structure à points de vue multiples.
Une passerelle entre science et humanité
Linear Bounded Phenogram joue un rôle central dans la mythologie de Steins;Gate.
Il relie la première œuvre et Steins;Gate 0 par des passerelles narratives et émotionnelles, tout en posant la question essentielle :
“Que devient un scientifique quand il cesse de chercher à sauver le monde, et commence à se sauver lui-même ?”
Cette question, fil rouge du jeu, traverse chaque ligne temporelle, chaque destin.
Le joueur en ressort non pas avec une vérité unique, mais avec une constellation de vérités partielles, comme les morceaux d’un miroir brisé qui reflètent tous la même lumière.
Steins;Gate: Linear Bounded Phenogram est bien plus qu’un recueil d’histoires parallèles :
c’est une méditation sur la relativité du temps et des choix, une œuvre poétique et lucide qui donne une voix à chaque personnage de l’univers Steins;Gate.
Porté par une écriture plurielle, une bande-son magistrale et une mise en scène soignée, ce jeu explore ce que signifie être humain dans un monde où tout peut varier, sauf les émotions.
Le temps ne ment pas. Il se répète, se fragmente, se tord — mais il se souvient toujours de ceux qui ont essayé de le comprendre.