Sorti le 28 octobre 2011 sur Microsoft Windows, Steins;Gate: Variant Space Octet est un projet singulier, presque expérimental, qui marque un virage inattendu dans la saga.
Développé par 5pb. et Nitroplus, ce jeu ne cherche ni à prolonger le scénario principal ni à offrir une simple compilation.
C’est une déclaration d’amour au rétro, une curiosité créative qui revisite l’univers de Steins;Gate à travers les codes graphiques, sonores et techniques des ordinateurs japonais des années 1980, notamment le légendaire NEC PC-9801.
Là où My Darling’s Embrace réinventait Steins;Gate sous le prisme du romantisme, Variant Space Octet le recompose comme si le jeu original avait été conçu trente ans plus tôt.
Un hommage brillant, décalé et profondément respectueux de l’histoire du jeu vidéo japonais.
Un concept né de la passion du rétro
Pour comprendre Variant Space Octet, il faut se replacer dans le contexte de 2011.
À cette époque, la nostalgie du retrogaming japonais connaît une forte résurgence.
Les créateurs de 5pb., grands admirateurs des premières aventures textuelles sur micro-ordinateurs, imaginent alors une expérience qui transpose Steins;Gate dans le style d’un eroge PC-98 de l’ère Showa — ces jeux narratifs au graphisme minimaliste et à la musique FM-synthétisée, ancêtres directs du visual novel moderne.
Le titre du jeu lui-même, Variant Space Octet, fait allusion à la mémoire de 8 bits, symbole de cette époque pionnière.
L’idée est audacieuse : recréer Steins;Gate comme s’il avait été programmé en 1985, avec une interface, des sons et une résolution typiques de cette décennie.
Le résultat : un OVNI vidéoludique aussi nostalgique que fascinant.
Un gameplay minimaliste, fidèle aux micro-ordinateurs japonais
Le jeu adopte une présentation quasi-identique à celle des jeux d’aventure PC-98 :
une fenêtre de texte monochrome, une palette de 16 couleurs, et des portraits pixelisés des personnages, rappelant les premières œuvres de Nihon Falcom ou Enix.
L’interface reproduit à la perfection les contraintes techniques de l’époque :
pas de menus complexes, pas de dialogues vocaux, et une écriture purement textuelle.
Les commandes s’effectuent à l’aide de raccourcis clavier (par exemple, “L” pour regarder, “T” pour parler, “M” pour se déplacer).
Le joueur incarne Rintarō Okabe comme dans le jeu original, mais l’aventure est racontée de façon beaucoup plus concise et humoristique, dans une ambiance parodique et méta.
Certains dialogues se moquent même gentiment des limitations techniques du jeu, comme si les personnages étaient conscients d’évoluer dans un univers rétro.
Un scénario alternatif et auto-parodique
L’histoire de Variant Space Octet se situe dans une ligne temporelle alternative proche du Steins;Gate principal, mais elle s’amuse à détourner ses codes.
Okabe et le Future Gadget Lab sont à nouveau confrontés à des phénomènes temporels étranges, mais cette fois, le ton est résolument humoristique.
Le joueur découvre des situations absurdes :
Kurisu se plaint du graphisme « trop pixellisé », Mayuri rêve de devenir une héroïne de RPG 8-bit, et Daru vante les mérites des vieux processeurs NEC en plein dialogue dramatique.
Malgré sa légèreté, le jeu conserve une vraie cohérence narrative.
On y retrouve les thèmes chers à Steins;Gate — la mémoire, le temps, la perception de la réalité —, mais exprimés à travers le prisme du rétro-technologique.
C’est comme si le laboratoire avait voyagé non pas dans le futur, mais dans le passé vidéoludique.
Une expérience sonore et visuelle volontairement archaïque
L’un des aspects les plus marquants du jeu est sa bande-son.
Le compositeur Takeshi Abo, déjà responsable de la musique de Steins;Gate, a entièrement recomposé ses morceaux pour les faire sonner comme sur une carte FM de PC-9801.
Les sons de clavier, les bips du processeur et les mélodies électroniques donnent l’impression d’être plongé dans un jeu sorti d’une disquette en 1986.
Visuellement, le jeu adopte un style 16 couleurs avec une finesse de dessin surprenante compte tenu des limitations qu’il s’impose.
Chaque portrait de personnage est redessiné dans un style pixel art ultra-détaillé, évoquant à la fois l’esthétique de Snatcher (1988) et celle des premiers Ys (1987).
L’effet nostalgique est total : le joueur a réellement le sentiment d’utiliser un ancien micro-ordinateur japonais.
Un hommage à la culture PC japonaise
Variant Space Octet n’est pas seulement une parodie ou un exercice de style : c’est un hommage respectueux à toute une génération de créateurs qui ont bâti les fondations du visual novel moderne.
Les développeurs y ont inclus d’innombrables références à l’âge d’or du PC-98 et du MSX, ainsi qu’à des jeux comme The Portopia Serial Murder Case (1983) ou Yu-No (1996), précurseurs spirituels de Steins;Gate.
Le jeu est également truffé de clins d’œil méta :
les personnages parlent parfois du “futur” de 2011, évoquent les consoles modernes ou ironisent sur la lenteur du lecteur de disquettes.
C’est un véritable musée interactif du jeu narratif japonais, dissimulé sous une couche d’humour absurde.
Réception et impact culturel
À sa sortie, Steins;Gate: Variant Space Octet suscite la curiosité autant que la perplexité.
Les fans de la série le perçoivent comme une expérience artistique et humoristique, mais non essentielle à la trame principale.
La presse spécialisée japonaise salue sa finesse de reconstitution rétro et son ton rafraîchissant, tandis que les critiques occidentales le découvrent surtout lors de sa réédition numérique, plusieurs années plus tard.
Beaucoup le considèrent aujourd’hui comme un “cadeau aux fans”, un jeu fait par des passionnés pour des passionnés — une manière de remercier la communauté tout en célébrant la culture des origines du visual novel.
Analyse : entre mémoire et métaphore
Sous ses apparences ludiques, Variant Space Octet véhicule un message plus profond.
En recréant Steins;Gate dans une esthétique du passé, le jeu souligne le paradoxe temporel entre progrès et nostalgie.
Il montre que la mémoire technologique elle-même peut devenir un espace de voyage dans le temps : revenir à une interface des années 80, c’est aussi revisiter les émotions, les limitations et la créativité d’une époque.
Dans cette optique, Variant Space Octet peut être lu comme une métaphore vivante de la série : un espace variant, un continuum entre hier et demain.
Une “world line” où la nostalgie devient elle-même une forme de science.
Héritage et rareté
Jamais distribué à grande échelle, le jeu est aujourd’hui une pièce rare de la collection Steins;Gate.
Sa diffusion fut limitée à certaines plateformes japonaises, mais il a acquis au fil des ans un statut culte parmi les amateurs de rétro et de visual novels expérimentaux.
Sa démarche, entre hommage et parodie, a inspiré d’autres studios à revisiter leurs univers sous un angle rétro — notamment Danganronpa: 1.2 Reload Retro Edition ou certains événements spéciaux de Chaos;Child.
Steins;Gate: Variant Space Octet est bien plus qu’un simple spin-off humoristique.
C’est une capsule temporelle vidéoludique, un jeu qui revisite le mythe fondateur de Steins;Gate à travers la nostalgie informatique.
En se plaçant volontairement dans les contraintes techniques des années 80, il démontre qu’un grand récit ne dépend pas de la puissance d’une machine, mais de l’imagination de ses créateurs.
Rare, brillant et profondément méta, Variant Space Octet reste un hommage vibrant à une ère où chaque ligne de code, chaque pixel, chaque bip sonore portait la promesse d’un futur encore à inventer.
Entre la nostalgie du passé et la science du futur, il existe un espace variant : celui de la mémoire.