Au milieu des années 1980, Thomson est au sommet de son engagement dans la micro-informatique. Après le succès du MO5 lancé en 1984 — notamment grâce au plan gouvernemental “Informatique pour tous” —, la firme française cherche à étendre son influence au-delà des frontières nationales.
C’est dans ce contexte qu’apparaît le Thomson MO5E, où la lettre E signifie “Export”.
Ce modèle, sorti en 1985, incarne l’ambition de Thomson de proposer une version plus universelle de son micro-ordinateur phare, adaptée aux marchés étrangers tout en conservant les atouts techniques et pédagogiques du MO5 d’origine.
Un contexte d’ouverture : le rêve d’un micro français à portée mondiale
Le lancement du Thomson MO5E s’inscrit dans la continuité du développement rapide de la micro-informatique en Europe.
Si le MO5 original connaît un grand succès en France grâce au soutien institutionnel et à sa présence massive dans les écoles, il reste pratiquement inconnu hors du territoire.
Thomson ambitionne alors de s’implanter sur les marchés internationaux, notamment en Europe de l’Ouest, au Canada, en Afrique francophone et en Scandinavie, où la marque dispose déjà de partenaires technologiques.
Mais pour espérer rivaliser avec les Commodore 64, ZX Spectrum ou Amstrad CPC, il fallait une version plus adaptée aux standards internationaux — d’où la création du MO5E, une évolution subtile mais significative du modèle français.
Une adaptation technique pensée pour l’exportation
Sur le plan technique, le Thomson MO5E conserve la majorité des caractéristiques de base du MO5, mais introduit plusieurs améliorations notables destinées à le rendre plus compétitif et compatible avec les attentes des utilisateurs étrangers.
Voici ses principales spécifications :
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Processeur : Motorola 6809E cadencé à 1 MHz
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Mémoire vive (RAM) : 48 Ko
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Mémoire morte (ROM) : 16 Ko
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Affichage graphique : résolution jusqu’à 320x200 pixels, 16 couleurs affichables simultanément parmi une palette de 4096
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Son : générateur mono sur 1 canal programmable
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Langage intégré : BASIC Microsoft compatible
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Support de stockage : cassette audio et, selon les configurations, lecteur de disquettes via interface optionnelle
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Connectiques : ports pour manettes, cassette, extensions, et sortie vidéo compatible avec les téléviseurs étrangers (PAL/SECAM selon le marché visé)
Mais les différences les plus visibles résident dans le clavier et l’adaptation du boîtier.
Un clavier repensé pour l’international
Le clavier du MO5E constitue l’une des modifications les plus importantes.
Alors que le MO5 français disposait d’un clavier AZERTY avec caractères accentués pour la langue française, le MO5E adopte un clavier QWERTY, beaucoup plus standard pour les marchés anglophones.
De plus, certaines touches ont été réorganisées afin de correspondre aux conventions internationales (par exemple la disposition des symboles et des touches de ponctuation).
Cette différence, anodine en apparence, montre à quel point Thomson cherchait à sortir du cadre éducatif français pour se positionner sur le marché domestique et professionnel à l’étranger.
Des différences visuelles et ergonomiques
Le design du MO5E reste fidèle à celui du MO5 classique, avec son boîtier compact et anguleux, mais plusieurs détails esthétiques et pratiques le distinguent :
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La coque passe du noir mat à un gris clair ou beige pâle, plus en phase avec les standards internationaux de l’époque.
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La sérigraphie des touches est revue pour refléter les caractères ASCII standards.
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La compatibilité électrique est adaptée aux différents réseaux étrangers (notamment 110V pour certaines zones).
Ces changements visaient à moderniser l’image du produit et à l’harmoniser avec les micro-ordinateurs étrangers, souvent perçus comme plus “professionnels” que leurs équivalents éducatifs français.
Compatibilité et logiciels
Le MO5E restait pleinement compatible avec les programmes et périphériques du MO5 d’origine, ce qui garantissait une large bibliothèque logicielle dès son lancement.
Les jeux éducatifs, les applications de bureautique et les utilitaires développés pour le système Thomson pouvaient être utilisés sans modification majeure.
En revanche, le catalogue de jeux restait plus restreint à l’international : la plupart des titres avaient été conçus pour le marché français et n’étaient pas traduits. Cela a constitué un frein à son adoption en dehors de la francophonie.
Néanmoins, certains éditeurs indépendants ont tenté d’adapter des titres populaires comme Théoric, Infogrames ou Loriciels pour ce modèle, afin de le rendre plus attractif hors de France.
Un marché difficile à conquérir
Malgré ses qualités, le Thomson MO5E se heurte à une concurrence féroce.
À sa sortie, le marché micro-informatique mondial est déjà dominé par Commodore, Sinclair, Atari et Amstrad, qui bénéficient d’écosystèmes riches, de réseaux de distribution solides et de catalogues de jeux bien fournis.
De plus, le MO5E souffre d’un positionnement ambigu : trop cher pour un usage éducatif de masse à l’étranger, et pas assez performant pour concurrencer les machines purement ludiques ou professionnelles déjà bien installées.
Il s’impose alors dans quelques niches — notamment dans certaines écoles et centres de formation à l’étranger — mais ne connaît jamais la diffusion massive du MO5 original.
Le MO5E aujourd’hui : une rareté recherchée
Avec le recul, le Thomson MO5E occupe une place singulière dans l’histoire de la micro-informatique française.
Il témoigne d’une volonté d’expansion technologique nationale, à une époque où la France tentait encore de rivaliser avec les grands acteurs anglo-saxons.
Pour les collectionneurs, ce modèle est aujourd’hui une véritable rareté, notamment à cause du faible nombre d’unités exportées et de son clavier QWERTY spécifique.
Il est souvent recherché pour comparer les différences régionales avec les autres modèles Thomson, et certains passionnés y voient le symbole d’une tentative audacieuse mais inaboutie de faire rayonner l’informatique française à l’échelle mondiale.
Le Thomson MO5E n’est pas une simple variante cosmétique du MO5 : il représente une étape clé dans la stratégie internationale de Thomson, un essai ambitieux visant à adapter la micro-informatique française aux standards mondiaux.
Même s’il n’a jamais rencontré le succès commercial escompté, il incarne l’esprit d’innovation et d’ouverture d’une époque où la France croyait encore pouvoir rivaliser, sur le terrain de la technologie, avec les plus grands noms de l’industrie.
En somme, le MO5E est à la fois un symbole de transition et un témoignage de courage industriel, une pièce rare qui rappelle que l’histoire de la micro-informatique française ne s’est jamais limitée à ses frontières.