Sorti le 9 juin 1984, le Thomson MO5 est l’un des ordinateurs personnels les plus emblématiques de la période où la France tentait de rivaliser avec les géants de l’informatique mondiale. Conçu par Thomson Micro-Informatique, une filiale du groupe industriel français Thomson, le MO5 s’inscrit dans une politique nationale très ambitieuse : démocratiser l’informatique éducative et domestique dans les foyers et les écoles françaises. Il fait partie intégrante du fameux plan "Informatique pour tous", lancé par le gouvernement de l’époque pour équiper massivement les établissements scolaires.
Si son nom n’évoque pas forcément la nostalgie de la micro-informatique pour les joueurs d’aujourd’hui, le MO5 incarne pourtant un moment-clé : celui où la France voulait prouver qu’elle pouvait tenir tête à Commodore, Atari et Amstrad, tout en développant un écosystème éducatif national cohérent.
Un contexte technologique et politique unique
Au début des années 1980, le marché mondial de la micro-informatique connaît une explosion sans précédent. Aux États-Unis, l’Apple II, le Commodore 64 et l’IBM PC s’imposent dans les foyers. En Europe, les ZX Spectrum et Amstrad CPC envahissent les chambres des adolescents passionnés de jeux vidéo et de programmation.
En France le gouvernement de François Mitterrand souhaite éviter une dépendance totale vis-à-vis des marques étrangères. Sous l’impulsion du ministre de l’Éducation nationale Jean-Pierre Chevènement, le plan "Informatique pour tous" est lancé en 1984. Son objectif : équiper les écoles françaises en micro-ordinateurs produits sur le territoire national, et initier les jeunes à la programmation.
C’est dans ce contexte que Thomson, géant de l’électronique française, conçoit le MO5, un ordinateur à la fois domestique et éducatif, pensé pour être accessible, polyvalent et compatible avec le matériel déjà en développement dans le pays.
Conception et caractéristiques techniques
Le Thomson MO5 succède au TO7, sorti en 1982, dont il reprend le design global mais améliore nettement la puissance et l’ergonomie. Fabriqué en France, l’appareil arbore un boîtier beige typique de l’époque, un clavier mécanique intégré et un lecteur de cassettes externe pour le chargement des programmes.
Ses principales caractéristiques techniques sont :
Processeur : Motorola 6809E cadencé à 1 MHz
Mémoire vive (RAM) : 48 Ko
Mémoire morte (ROM) : 16 Ko contenant le BASIC 1.0 de Microsoft adapté par Thomson
Pour les graphismes :
Résolution maximale de 320 × 200 pixels,
8 couleurs affichables parmi une palette de 16,
Mode texte en 40 colonnes × 25 lignes.
Son : généré par un simple beeper, remplacé par un circuit sonore plus évolué sur le TO7/70 et les modèles suivants.
Supports : cassettes magnétiques et, plus tard, disquettes 3,5 pouces via un lecteur externe.
Connectique : ports d’extension, prise Péritel pour la télévision, port pour manette et stylet optique.
La compatibilité avec le stylet optique Thomson, déjà présent sur le TO7, reste une particularité très avancée pour l’époque. Il permettait d’interagir directement avec les éléments affichés à l’écran, une forme primitive d’interface tactile qui faisait du MO5 un outil d’apprentissage intuitif et moderne.
Un ordinateur pensé pour l’éducation
L’un des points forts du MO5 réside dans son orientation éducative. Thomson a conçu de nombreux logiciels pédagogiques en collaboration avec l’Éducation nationale : exercices de mathématiques, d’orthographe, d’histoire et de géographie, ainsi que des initiations à la logique et à la programmation BASIC.
Dans les écoles équipées à partir de 1985 les élèves équipés peuvent :
écrire du code BASIC,
résoudre des problèmes de logique,
ou découvrir les bases de la bureautique et de la géométrie assistée par ordinateur.
Grâce à son interface simple et à ses manuels traduits en français, le MO5 a rendu la programmation accessible à des milliers d’élèves, bien avant l’arrivée massive des PC compatibles IBM.
Des capacités ludiques sous-estimées
Si son image reste liée à l’éducation, le MO5 n’en demeurait pas moins une machine de jeu tout à fait respectable. Plusieurs studios français et européens ont développé des titres d’action, d’aventure ou de réflexion pour la machine.
On peut citer :
Théoric, un jeu d’arcade éducatif,
Sapiens, jeu d’aventure préhistorique innovant,
Le 5ème Axe, un classique du genre,
ou encore des adaptations de jeux comme Boulder Dash ou L’Aigle d’Or.
Les graphismes, bien que modestes comparés à ceux du Commodore 64 ou de l’Amstrad CPC, étaient d’une grande lisibilité. Le son, en revanche, demeurait minimaliste, faute de véritable puce sonore dédiée.
Design, ergonomie et confort d’utilisation
Le Thomson MO5 se distingue par son design sobre et fonctionnel, typique de l’école industrielle française des années 80. Le clavier intégré, bien plus agréable que celui du TO7, marque une nette amélioration en confort d’utilisation.
L’écran était généralement un téléviseur branché via la prise Péritel — une connectique normalisée en France, qui permettait une image d’une qualité supérieure à celle offerte par les câbles RF utilisés à l’étranger.
L’ensemble offrait une expérience visuelle stable et colorée, ce qui était loin d’être évident sur les micro-ordinateurs concurrents.
Réception et carrière du MO5
À sa sortie en 1984, le Thomson MO5 reçoit un accueil favorable dans la presse française, notamment pour son ergonomie, sa qualité d’affichage et son potentiel éducatif. Toutefois, son prix — avoisinant 6 000 francs — le plaçait dans une gamme supérieure à celle de ses concurrents comme l’Amstrad CPC 464 ou le Commodore 64.
Malgré son soutien institutionnel via le plan “Informatique pour tous”, la machine ne parvient pas à s’imposer dans les foyers privés. En revanche, elle devient une référence dans le milieu scolaire, où des milliers d’unités sont installées à travers la France.
La carrière du MO5 sera relativement courte : dès 1985, il est remplacé par le TO7/70, plus rapide et plus coloré, puis par le TO9 et le TO8, modèles plus puissants et équipés de lecteurs de disquettes.
🧩 Héritage et collection
Aujourd’hui, le Thomson MO5 est considéré comme un symbole de l’informatique française des années 80. Bien que son influence commerciale ait été limitée, son impact culturel et éducatif reste immense.
Des générations d’élèves ont découvert, grâce à lui, les bases de la logique informatique et de la programmation.
Sur le marché de la collection, le MO5 est désormais un objet recherché par les passionnés de rétro-informatique.
Son design, son lien historique avec le plan “Informatique pour tous” et sa relative rareté en font une pièce patrimoniale.
Un MO5 complet, avec ses manuels, son lecteur de cassettes et son stylet optique, peut aujourd’hui atteindre plusieurs centaines d’euros selon son état.
Une fierté technologique française
Le Thomson MO5 représente l’une des plus belles tentatives françaises de démocratiser la micro-informatique à une époque où tout semblait possible. À la fois outil pédagogique, machine de découverte et relique d’un âge pionnier, il reste un jalon incontournable de l’histoire technologique hexagonale.
Bien que dépassé rapidement par les ordinateurs étrangers plus puissants et mieux diffusés, le TO5 incarne la volonté d’innovation et la fierté nationale d’une époque où la France rêvait de rivaliser avec la Silicon Valley.
Aujourd’hui encore, il symbolise l’idée qu’avant les géants mondiaux du numérique, le savoir et la curiosité pouvaient naître sur un clavier français branché à une télévision familiale.