Quand le diable de Tasmanie se lance dans la plateforme
Au début des années 1990, Sega est en pleine ascension avec sa Megadrive (Genesis en Amérique du Nord), qui s’impose peu à peu comme une concurrente sérieuse face à Nintendo. Outre ses propres licences phares comme Sonic the Hedgehog, Sega mise aussi sur des partenariats avec de grandes franchises de la culture populaire pour élargir son catalogue et séduire de nouveaux publics. C’est dans ce contexte qu’arrive, en 1992, un titre inattendu : Taz-Mania, adapté de l’univers des Looney Tunes.
Avec son héros à la fois sauvage, maladroit et attachant, le jeu incarne parfaitement l’esprit cartoonesque de Warner Bros tout en exploitant les capacités techniques de la Megadrive. Retour sur un jeu qui, sans atteindre le statut de légende, a marqué les esprits par son originalité et son énergie.
Le contexte : les Looney Tunes et Sega, une alliance stratégique
En 1992, le catalogue de Sega s’étoffe rapidement, mais l’éditeur cherche à séduire au-delà du public gamer traditionnel. Miser sur une licence mondialement connue comme les Looney Tunes, diffusée à la télévision depuis des décennies, est un coup malin. Parmi tous les personnages, Taz, le diable de Tasmanie, est choisi comme héros principal.
Pourquoi Taz ? Parce qu’il symbolise le chaos, la vitesse et une personnalité explosive, trois caractéristiques qui s’adaptent bien à l’univers vidéoludique des années 90, où l’action et la nervosité séduisent les joueurs. En outre, Taz est à l’époque mis en avant par Warner Bros dans divers produits dérivés, renforçant son image auprès du grand public.
Le développement est confié à Recreational Brainware, sous la supervision de Sega. Le jeu sort en 1992 au Japon, en Amérique du Nord et en Europe, contribuant à la reconnaissance internationale de la Megadrive.
Un scénario simple mais fidèle à l’esprit Looney Tunes
L’intrigue du jeu est volontairement délirante. En entendant son père raconter qu’un gigantesque œuf d’oiseau existe quelque part dans les terres sauvages de Tasmanie, Taz part dans une quête absurde pour trouver et dévorer cet œuf mythique.
Le scénario est prétexte à un enchaînement de niveaux variés remplis d’obstacles, d’ennemis loufoques et de pièges improbables. Fidèle à son image, Taz n’est pas un héros réfléchi : il fonce, dévore tout ce qu’il trouve, et avance avec un mélange de brutalité et de maladresse qui reflète parfaitement ses apparitions animées.
Gameplay : une plateforme énergique et déjantée
Taz-Mania est un jeu de plateforme à défilement horizontal, mais il introduit des mécaniques propres à son héros :
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Le tourbillon (spin) : en appuyant sur un bouton, Taz peut se transformer en tornade, renversant ennemis et obstacles sur son passage. Ce pouvoir, spectaculaire, consomme toutefois de l’énergie et doit être utilisé stratégiquement.
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La gloutonnerie : Taz peut avaler presque tout ce qui se trouve sur l’écran : poulets rôtis pour se régénérer, bombes qui explosent dans son ventre, ou encore caisses et rochers. Cette mécanique, à la fois drôle et risquée, rend le gameplay unique.
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Les sauts et esquives : comme dans tout jeu de plateforme, il faut franchir des gouffres, éviter les pièges et éliminer des ennemis. Mais la maniabilité parfois lourde de Taz donne une courbe d’apprentissage particulière.
Le jeu se compose d’une vingtaine de niveaux aux décors variés : déserts, volcans, jungles luxuriantes, rivières infestées de crocodiles. La progression n’est pas linéaire : certains niveaux imposent des mécaniques inédites (par exemple des courses poursuites ou des séquences de plateformes mouvantes).
Réalisation technique : l’esprit cartoon sur Megadrive
Graphiquement, Taz-Mania exploite bien les capacités de la Megadrive. Les sprites sont grands, colorés, et Taz est parfaitement reconnaissable, avec ses expressions exagérées et ses animations fluides lorsqu’il se met à tournoyer. Les environnements, bien que parfois répétitifs, sont riches en détails et conservent l’ambiance sauvage et déjantée de la Tasmanie imaginée par les studios Warner.
La bande-son, composée par Mark Cooksey, alterne entre musiques dynamiques et bruitages comiques. Les effets sonores, notamment les grognements et cris de Taz, renforcent le côté cartoon du jeu. Certes, la Megadrive n’avait pas la palette sonore la plus riche comparée à la Super Nintendo, mais Taz-Mania parvient à tirer son épingle du jeu en jouant sur l’humour sonore.
Réception critique et souvenirs des joueurs
À sa sortie en 1992, Taz-Mania reçoit un accueil mitigé mais globalement positif. La presse spécialisée salue l’originalité du gameplay, la fidélité au personnage et l’humour omniprésent. Cependant, plusieurs critiques pointent du doigt :
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Une difficulté parfois frustrante, liée à la lourdeur des contrôles et à des ennemis imprévisibles.
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Une répétitivité dans certaines mécaniques, malgré des environnements variés.
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Une durée de vie relativement courte, même si la difficulté allonge artificiellement le temps de jeu.
Pour les joueurs de l’époque, le titre reste néanmoins marquant. Beaucoup se souviennent avec nostalgie de l’énergie folle du personnage, du plaisir simple de tourbillonner à tout va, et de l’humour cartoonesque qui contrastait avec d’autres jeux plus sérieux. Dans les foyers, Taz-Mania était souvent apprécié des plus jeunes, qui connaissaient déjà le diable de Tasmanie grâce aux dessins animés.
Aujourd’hui encore, il est cité comme un de ces jeux qui, sans révolutionner le genre, incarnaient parfaitement l’esprit des années 90 : décalé, coloré et accessible.
Héritage et statut actuel
Taz-Mania ne restera pas une licence majeure de Sega, mais son succès relatif conduira à plusieurs adaptations sur d’autres consoles : Game Gear, Master System et Super Nintendo (avec des versions très différentes). La Megadrive garde toutefois la version la plus emblématique, celle qui est encore aujourd’hui recherchée par les collectionneurs de jeux rétro.
Sur le marché de l’occasion, la cartouche seule se trouve à des prix abordables, mais les versions complètes en boîte avec notice peuvent atteindre des montants plus élevés. Pour les fans de Looney Tunes et de Sega, posséder Taz-Mania reste un petit plaisir nostalgique.
Conclusion
En 1992, Sega a su capitaliser sur l’énergie déjantée d’un personnage culte des Looney Tunes pour proposer un jeu fidèle à son univers : rapide, chaotique et drôle. Sans atteindre la profondeur d’un Sonic the Hedgehog ou d’un Castle of Illusion, Taz-Mania a su trouver sa place dans la ludothèque Megadrive grâce à son originalité et à sa dimension grand public.
Aujourd’hui encore, il fait partie de ces titres qui rappellent combien les années 90 étaient une décennie d’audace et de diversité vidéoludique, où chaque console se nourrissait d’univers variés, du plus sérieux au plus cartoonesque.