Histoire des jeux vidéo

Shigeru Miyamoto 7

L’ère GameCube et la diversification de Miyamoto

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Après l’onde de choc de Super Mario 64 et le succès retentissant de la Nintendo 64, Miyamoto entre dans une nouvelle phase de sa carrière. Avec la GameCube (sortie en 2001 au Japon et en 2002 en Europe), Nintendo perd son statut de leader du marché, mais Miyamoto lui, n’a rien perdu de son audace. Au contraire : c’est peut-être durant cette période qu’il ose le plus s’écarter de ses univers fondateurs pour expérimenter de nouvelles formes de narration, de contrôle, et d’imaginaire.

L'anti-Mario : l’expérience Pikmin
L’un des projets les plus symboliques de cette époque est sans doute Pikmin (2001). Inspiré par le jardinage – une passion personnelle de Miyamoto – ce jeu de stratégie en temps réel met le joueur dans la peau du minuscule capitaine Olimar, échoué sur une planète peuplée de créatures florales qu’il doit apprivoiser et diriger. Le joueur y gère des centaines de petites créatures, réparties par couleurs et spécialisations, dans une lutte contre le temps et la nature hostile.

C’est un virage artistique et conceptuel : Pikmin ne repose pas sur la rapidité ou la plateforme, mais sur l’observation, l’organisation, et la tendresse pour le vivant. Le monde est coloré, doux, mais chaque erreur peut entraîner la mort de dizaines de Pikmin. Le jeu interroge le rapport du joueur à la responsabilité. Peut-on exploiter la nature sans culpabilité ? Jusqu’où délègue-t-on notre pouvoir d’action dans un monde où l’on est soi-même vulnérable ?

La renaissance de Zelda : Wind Waker
Autre moment-clé de cette époque : The Legend of Zelda: The Wind Waker (2002). Si le concept est porté principalement par Eiji Aonuma, Miyamoto supervise le projet et le défend corps et âme face à une critique initiale virulente. Le style graphique en cel-shading, enfantin et lumineux, fait scandale à l’époque. Pourtant, ce choix esthétique, couplé à un gameplay axé sur la navigation maritime, s’impose aujourd’hui comme un des plus grands coups de génie de la série.

Dans Wind Waker, Miyamoto explore une autre dimension de l’aventure : l’errance poétique, la solitude sur une mer infinie, la lenteur comme respiration du récit. Ce n’est plus seulement l’héroïsme qu’on met en avant, mais aussi l’introspection et la mélancolie. Il y a, dans ce jeu, une méditation silencieuse sur les civilisations disparues, la mémoire du monde englouti.

L’intuition contre la technique : Super Mario Sunshine
Autre jeu marquant de cette époque : Super Mario Sunshine (2002). Ici, Mario quitte le Royaume Champignon pour des vacances tropicales, mais se retrouve injustement accusé de pollution et de vandalisme. Il devra nettoyer l’île en utilisant un canon à eau nommé J.E.T., outil au cœur du gameplay.

C’est peut-être le jeu Mario le plus ambivalent de la période. Moins consensuel que Mario 64, plus rugueux, Sunshine est aussi l’un des plus riches en termes d’expression mécanique. Le joueur y découvre des niveaux complexes, des énigmes environnementales et un degré de précision de contrôle exceptionnel. Là encore, Miyamoto pousse la plateforme vers l’expérimentation sensorielle : le jet d’eau devient une extension du corps du joueur. On sent que chaque jeu est un terrain de jeu pour une idée nouvelle.

Le créateur en transition
À cette époque, Miyamoto commence à transmettre certains rôles de direction à la génération montante : Eiji Aonuma pour Zelda, Yoshiaki Koizumi pour Mario, Satoru Iwata en tant que président de Nintendo. Il passe d’un rôle de créateur principal à celui de mentor et architecte invisible. Mais son empreinte reste partout : dans la logique interne des jeux, dans l’importance donnée aux intuitions motrices, dans cette manière unique de penser le joueur non comme un client, mais comme un compagnon d’aventure.

La GameCube, malgré son échec commercial relatif, est pour Miyamoto une ère d’épanouissement : il s’affranchit de ses propres mythes, ose des formes hybrides, cultive le détail, le rythme, l’émotion. C’est l’ère d’un Miyamoto plus mature, contemplatif, et joueur que jamais.