1. Une nouvelle ère technologique
En 1990 au Japon (1992 en Europe), Nintendo lance la Super Famicom (ou Super Nintendo Entertainment System, SNES). Le défi est immense : la concurrence de Sega s’intensifie, le public s’élargit, et les attentes sont décuplées. Pour Miyamoto, cette nouvelle console est plus qu’une évolution technique. C’est l’occasion d’aller au bout de ses ambitions créatives, en donnant vie à des mondes plus riches, des récits plus profonds et des mécaniques de jeu plus subtiles.
2. Super Mario World : la quintessence du platformer
Avec Super Mario World (1990), Miyamoto signe l’un des chefs-d’œuvre de la plateforme 2D. Il dépasse tout ce qu’il avait conçu jusque-là : carte du monde ouverte, secrets enfouis, gameplay d’une précision chirurgicale. L’introduction de Yoshi n’est pas qu’un ajout mignon : c’est une innovation structurelle, offrant de nouvelles dynamiques de jeu et une stratification supplémentaire au level design.
Ce jeu marque l’apogée d’une grammaire vidéoludique que Miyamoto avait lui-même inventée quelques années plus tôt. Tout y est plus fluide, plus ambitieux, mais jamais complexe. La SNES lui permet d’atteindre une forme de classicisme ludique : une œuvre où chaque élément est à sa place.
3. The Legend of Zelda: A Link to the Past – Le monde comme énigme
En 1991 sort A Link to the Past, troisième volet de la saga Zelda. Pour Miyamoto, c’est une véritable déclaration d’intention : il veut faire de l’univers du jeu non pas un décor, mais un langage. Les dimensions parallèles (Monde de la Lumière / Monde des Ténèbres) inaugurent une philosophie du jeu comme expérience d’exploration, où la carte n’est jamais un simple territoire mais un réseau d’énigmes à déchiffrer.
Le succès critique et commercial est immense. Ce Zelda deviendra une matrice : un modèle esthétique, structurel et sensoriel que toute la série reprendra comme socle pendant plus de vingt ans. L’ambition de Miyamoto s’y révèle dans sa dimension la plus élevée : faire du joueur un acteur de mythe.
4. Star Fox et l’ère de la 3D naissante
Avec Star Fox (1993), Miyamoto expérimente la 3D sur console bien avant Super Mario 64. Le jeu utilise le Super FX, une puce intégrée aux cartouches, et propose des environnements en polygones rudimentaires mais animés avec un sens du spectacle novateur. Bien que bridé par la technique, Miyamoto y injecte déjà sa logique de rythme, de récompense et de fluidité. La caméra cinématique, les dialogues radio, les embranchements de niveaux : tout montre qu’il pense désormais au jeu comme narration spatiale.
5. La maturité d’un style
Durant l’ère SNES, Miyamoto n’est plus seulement un inventeur de concepts. Il devient un architecte culturel. Il maîtrise désormais tous les langages du jeu vidéo : la forme, le contenu, le rythme, la sensation et la mémoire. Chaque production signée ou supervisée par lui devient une déclaration artistique, un jalon dans l’évolution du médium.
C’est aussi à ce moment-là qu’il commence à déléguer davantage, formant autour de lui une nouvelle génération de créateurs (Koji Kondo, Takashi Tezuka, Eiji Aonuma, etc.), dans une logique de transmission du savoir-faire.
Conclusion de cette Partie 5
L’époque de la Super Nintendo représente pour Shigeru Miyamoto une forme de maturité artistique. Il ne s’agit plus seulement d’inventer des jeux : il s’agit de créer des univers à habiter, des formes de récit qui passent par l’interaction pure, la découverte, l’intuition. Il devient un sculpteur d’émotions par le gameplay, et transforme la SNES en véritable atelier de création artistique.
C’est dans cette période que s’ancre la légitimité de Miyamoto comme figure tutélaire du jeu vidéo – non seulement au Japon, mais dans le monde entier.