En 1986, The Legend of Zelda posait les jalons d’un game design fondé sur la liberté d’exploration, la mémoire du joueur, et la construction de mondes semi-ouvert. Mais cette même année, Nintendo allait frapper un second coup culturel – d’apparence différente, mais pourtant tout aussi fondamental : Metroid.
Même si Miyamoto n’est pas le créateur direct de Metroid, son influence sur l’écosystème créatif de Nintendo est déjà telle qu’il irrigue, en profondeur, tous les projets majeurs. Le jeu est développé par une équipe interne dirigée par Sakamoto et Gunpei Yokoi, mais il incarne parfaitement cette nouvelle philosophie japonaise du jeu vidéo : créer des univers denses, cohérents, non linéaires, qui parlent à l’imaginaire du joueur.
1. Une atmosphère : la science-fiction comme immersion sensorielle
Metroid propose une esthétique radicalement différente de Mario ou Zelda : ici, l’ambiance est sombre, isolée, inspirée par Alien et les films de SF. La musique minimaliste, les couleurs sombres, les environnements déserts et hostiles… Tout est pensé pour créer une atmosphère. C’est l’une des premières fois qu’un jeu vidéo cherche non pas à distraire immédiatement, mais à faire ressentir un monde.
Nintendo ne propose pas ici un simple jeu d’action. Il offre une expérience sensorielle : celle d’être seul dans un monde alien, à devoir apprendre ses codes, ses lois physiques, ses dangers – sans guide, sans carte, sans tutoriel. Cette immersion deviendra l’une des signatures philosophiques du Nintendo des années 1980.
2. L’exploration comme mécanique et comme narration
Comme Zelda, Metroid repose sur un monde vaste et labyrinthique. Mais là où Zelda s’inspire des jeux d’aventure et des légendes japonaises, Metroid intègre les mécaniques de retour en arrière : le fameux backtracking. Le joueur découvre des zones, est bloqué, doit acquérir un pouvoir ou un objet, et revenir. Cela paraît classique aujourd’hui, mais en 1986, c’est une innovation radicale.
C’est un monde qui se révèle à mesure que l’on progresse — pas seulement spatialement, mais aussi en termes de capacités. On découvre ce monde en même temps que le personnage de Samus. Le gameplay est ici totalement organique : la progression n’est pas imposée, elle est découverte.
3. La figure de Samus : subversion et icône
L’un des choix les plus audacieux du jeu est son twist final : le joueur découvre que le héros, Samus Aran, est… une femme. C’est la première fois dans l’histoire du jeu vidéo qu’un personnage féminin est présenté comme héros d’action – sans être sexualisé ni dépendante d’un homme. Cette révélation participe d’un changement de paradigme : Nintendo ne construit pas seulement des jeux, mais des mythes culturels alternatifs.
4. Vers la Nintendo touch : architecture, monde, identité
Ce que Metroid, Zelda et Mario ont en commun, c’est une pensée architecturale du jeu vidéo. On ne joue pas à une histoire linéaire, on pénètre un espace mental. Chaque jeu de Nintendo devient une géographie de l’imaginaire.
Sous l’influence de Miyamoto et de ses pairs, Nintendo invente une nouvelle discipline : l’architecture vidéoludique. Chaque monde – qu’il soit de science-fiction, de fantasy ou de plateforme – possède une logique interne, des règles cohérentes, une atmosphère propre, une temporalité particulière. On ne joue pas simplement, on habite ces mondes.
Nintendo comme bâtisseur de mythes
Avec Metroid, Nintendo dépasse le simple cadre de la console de salon pour s’ériger en bâtisseur d’univers culturels. Mario, Zelda et Samus ne sont pas que des personnages : ce sont des archétypes modernes. La NES devient le théâtre de cette mythologie vidéoludique en construction.
La philosophie de Miyamoto infuse désormais tout : chaque jeu Nintendo n’est plus une simple œuvre de divertissement, mais un monde habitable. Une vision radicale qui fera école dans toute l’industrie du jeu vidéo, bien au-delà des années 80.