Quand la machine vous veut du mal : les secrets de l’intelligence artificielle dans les jeux vidéo (1977-1999)
Des martiens de Space Invaders aux boss d’Ocarina of Time, des coups fulgurants de M. Bison aux trajectoires implacables des voitures dans Gran Turismo, l’intelligence artificielle (IA) des jeux vidéo a, durant deux décennies, façonné l’expérience de jeu solo. Souvent rudimentaire, parfois brillante, toujours calculée, elle est là non pas pour être intelligente comme un humain, mais pour faire croire au joueur qu’il affronte une entité cohérente, maline, et redoutable.
Entre 1977 et 1999, l’IA est avant tout un art du trompe-l’œil, un code invisible qui donne vie à des ennemis, construit des défis, et rend chaque victoire gratifiante. Voici comment.
L’ère pionnière : réflexes programmés (1977-1983)
À l’aube du jeu vidéo domestique et arcade, l’intelligence artificielle n’est ni dynamique, ni réactive, mais prédéfinie. Dans Space Invaders (1978), par exemple, les extraterrestres ne « pensent » pas : ils descendent et accélèrent simplement quand le joueur en détruit certains. L’effet est pourtant puissant : plus on progresse, plus la pression monte. Le ressenti de difficulté est réel, bien qu’il repose sur une routine algorithmique fixe.
Dans Pac-Man (1980), l’illusion devient plus sophistiquée. Chaque fantôme possède une personnalité IA spécifique :
Blinky vous poursuit.
Pinky anticipe vos mouvements.
Inky combine vos mouvements et ceux de Blinky.
Clyde agit de manière erratique.
Les IA sont déterministes, mais suffisamment variées pour créer un jeu de chat et de souris complexe. Le joueur a l’impression d’être traqué par des entités intelligentes, alors qu’il ne fait que réagir à des schémas semi-prévisibles.
L’ère des consoles 8-bit : tricher, c’est régner (1983-1990)
Avec la NES et la Master System, l’IA devient plus agressive… et parfois injuste. À cause des limitations techniques, les ennemis ne s’adaptent pas, mais le jeu lui-même triche pour maintenir la tension.
Exemples :
Dans Punch-Out!! (1987), les adversaires suivent des cycles d’attaques à mémoriser, mais leurs contres sont timés à la perfection si vous sortez du cadre prévu.
Dans Ninja Gaiden (1988), les ennemis réapparaissent instantanément hors-écran, forçant le joueur à avancer sans pause.
Dans Contra, les projectiles ennemis sont légèrement plus rapides que le réflexe humain moyen.
Ici, l’IA ne réagit pas à vous : elle simule la difficulté par des timings serrés, des apparitions scriptées et des schémas d’attaque écrasants.
L’ère des 16-bit : quand l’IA feint l’intelligence (1990-1996)
Avec la Super Nintendo et la Mega Drive, l’IA devient adaptative sans être réellement intelligente. Elle commence à intégrer des routines conditionnelles ("si le joueur fait ça, fais ça"). Dans les jeux de combat, elle apprend à "lire" vos actions… parfois trop bien.
Dans Street Fighter II, à difficulté élevée :
Le CPU exécute des coups parfaits à la frame près.
Il "devine" souvent vos intentions, lisant vos commandes au moment même où vous les entrez.
Mais il est aussi limité par un script : à force de jouer, le joueur humain peut exploiter ses failles.
Dans Super Mario World, l’IA ennemie n’est pas adaptative, mais l’environnement agit comme une extension de l’IA : plates-formes mouvantes, ennemis apparaissant selon votre position, etc. Le défi est environnemental plus que cérébral.
Même constat dans Sonic the Hedgehog, où les ennemis sont scriptés, mais votre vitesse et le level design complexifient leur impact, rendant l’IA "réaliste" par illusion.
L’âge 32/64-bit : vers l’illusion de la conscience (1996-1999)
Avec la PlayStation, la Saturn et la Nintendo 64, l’IA devient plus contextuelle, même si les machines ne permettent toujours pas un apprentissage dynamique.
Dans GoldenEye 007 (1997), l’IA ennemie :
Peut vous repérer visuellement ou par le bruit.
Utilise des scripts pour se mettre à couvert ou alerter d’autres gardes.
Simule l’intelligence tactique, sans réelle prise de décision autonome.
Dans Metal Gear Solid (1998), les gardes :
Suivent une routine patrouillée.
Réagissent à des stimuli (bruit, vision, traces de pas).
Mais leurs comportements restent prévisibles une fois les scripts compris.
En revanche, dans les jeux de stratégie comme Command & Conquer ou StarCraft, l’IA commence à :
Construire des bases, produire des troupes, attaquer selon des cycles.
Simuler des vagues d’assauts.
Offrir une impression d’autonomie… alors que ses actions sont souvent précalculées par un comportement fixé au lancement de la partie.
Les techniques-clés de l’IA de 1977 à 1999
1. Scripts prédéfinis
Utilisation de séquences de comportements codées à l’avance. Courant dans les beat’em up, les jeux d’action-aventure et les RPG.
2. Cheats intégrés (triche CPU)
Réduction des délais d’input, lecture des commandes du joueur, exécution de combos impossibles humainement.
3. Routines conditionnelles simples (if/then)
Très utilisées dans les jeux de course, de stratégie ou de sport.
4. Simulation de comportements humains
Scripts améliorés pour faire croire à une forme de stratégie : recherche de couverture, alerte, fuite, coopération factice.
5. Illusion de réaction émotionnelle
Certains boss changent de phase ou de comportement à la moitié de leur barre de vie, simulant la colère ou la peur (ex. : Zelda: Ocarina of Time, Final Fantasy VII).
Conclusion : une IA au service du mythe, pas de la machine
L’intelligence artificielle des jeux de 1977 à 1999 n’était ni intelligente, ni autonome. Mais elle comprenait parfaitement son rôle : servir le rythme du jeu, renforcer la sensation de progression, provoquer des émotions puissantes. Plutôt que de penser, elle agissait selon les apparences — et cela suffisait.
Ce n’est pas dans la puissance de calcul qu’elle brillait, mais dans la capacité des développeurs à faire croire au joueur qu’il affrontait une force vivante, imprévisible, et cruelle. L’illusion était parfaite. Et parfois, elle l’est encore.