Histoire des jeux vidéo

1950-1976 : Manière dont l'intelligence artificielle est paramétrée dans les jeux vidéo

Pour donner des difficultés au joueur

Illustration

L’Intelligence Artificielle Primaire dans les Jeux Vidéo (1950–1976)
Comment les machines ont appris à "jouer" avant même que le jeu vidéo ne soit un marché
🕰️ Contexte historique : entre recherche académique et premiers divertissements électroniques
Avant 1976, le jeu vidéo n’était pas encore une industrie, mais un terrain d’expérimentation pour ingénieurs, chercheurs et programmeurs curieux. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle n’était pas conçue pour simuler la pensée humaine comme aujourd’hui, mais pour créer des réponses logiques simples qui permettraient à un programme de réagir au joueur humain, avec une illusion (même rudimentaire) de stratégie ou d’adversité.

Durant cette période, il n’existait aucun moteur d’IA, aucune bibliothèque, aucune normalisation : chaque IA était écrite à la main, spécifiquement pour un projet donné, et selon les limites de calcul, d’affichage et de mémoire drastiques de l’époque.

🔵 1950 : Bertie the Brain — Le tout premier exemple d’IA ludique
Créé par Josef Kates pour l’Exposition Nationale Canadienne de 1950, Bertie the Brain est considéré comme le tout premier jeu vidéo doté d’une forme d’intelligence artificielle.

➡️ Il s’agissait d’un jeu de morpion (tic-tac-toe) où l’humain affrontait une machine de plusieurs mètres de haut. Le comportement de la machine était pré-programmé pour suivre une logique parfaite : elle ne pouvait jamais perdre, mais autorisait volontairement la victoire humaine si l’on choisissait un mode plus "facile".

🔧 Le "cerveau" de Bertie était basé sur des tubes à vide, et les conditions de victoire, de match nul ou d’erreur du joueur étaient codées par des circuits logiques fixes.
➡️ Il ne s’agissait pas d’une IA "adaptative", mais bien d’une réponse purement algorithmique déterministe, sans mémoire ni apprentissage.

🟣 1951–1960 : Les jeux de réflexion logiques
Durant cette décennie, les premières IA dans les jeux informatiques (non commerciaux) se concentraient sur :

Les échecs (ex. : le programme de Christopher Strachey en 1951),

Le nim, un jeu mathématique (ex. : Nimrod en 1951),

Le morpion, très populaire pour tester des systèmes logiques simples.

🧠 Ces IA utilisaient des arbres de décision rudimentaires, avec :

Une évaluation de chaque coup possible,

Des règles "si… alors…" en cascade,

Parfois une fonction de score simple (évaluer si une situation est "bonne", "neutre" ou "perdante").

Mais elles ne simulaient pas un comportement humain : leur but était l’exhaustivité logique, non la ruse.

🟡 1962 : Spacewar! et les premiers ennemis programmés
Le célèbre Spacewar!, développé au MIT en 1962, est souvent cité comme l’un des premiers jeux vidéo véritablement jouables à deux. Mais certains prototypes internes ont expérimenté des ennemis contrôlés par la machine, déplaçant leur vaisseau selon la position du joueur.

🎯 Cette première forme d’"IA action" s’appuyait sur :

La détection de position du joueur,

Une logique vectorielle de poursuite (ex. : si le joueur est à gauche → tourner à gauche),

Et parfois des timings artificiels pour éviter que l’ennemi ne soit trop réactif (ce qui l’aurait rendu invincible).

C’est le début d’un concept essentiel : l’illusion de comportement.

🔺 1971–1976 : L’âge des bornes d’arcade et des IA réactives
À partir de 1971, l’arrivée des bornes d’arcade transforme la donne :
→ Il faut proposer des jeux captivants, mais pas impossibles, donc une IA qui met au défi sans frustrer.

🕹️ Exemples notables :
Computer Space (1971) : les ennemis poursuivent le joueur selon un pattern fixe, mais se déplacent de façon semi-réactive.

Pong (1972) : la "raquette IA" suit la balle avec une latence programmée, pour ne pas être infaillible. Sur les premières versions, elle était trop forte ; les développeurs ont dû introduire volontairement des erreurs.

Tank (1974) et Gun Fight (1975) : introduisent des IA mobiles basées sur des trajectoires fixes, des priorités (se rapprocher / tirer / éviter), avec un minimum d’aléatoire pour briser la monotonie.

🧠 À cette époque, l’IA est toujours prévisible, mais elle commence à :

Utiliser des états internes (ex. : fuir si le joueur tire),

Réagir au contexte (mur, balle, collision),

Offrir des niveaux de difficulté croissants.

⚙️ Mécanismes IA typiques de 1950 à 1976
Comportement Description
Poursuite directe L'ennemi se dirige vers la position du joueur en ligne droite.
Réactions binaires Si balle présente → se défendre / fuir / tirer.
Scripts fixes Mouvements répétés selon un cycle.
Erreur volontaire L’IA échoue à 1 coup sur 4 pour équilibrer la difficulté.
Temps de réaction artificiel Simule une IA "humaine", avec un délai calculé.

🧩 Une IA primitive, mais décisive
Loin de ce que l’on appelle aujourd’hui intelligence artificielle, ces premières IA n’apprenaient rien, n’analysaient rien, et ne comprenaient pas le joueur. Elles exécutaient une suite d’instructions logiques ou aléatoires, et leur but n’était pas de vaincre mais de challenger sans frustrer.

Pourtant, leur rôle fut déterminant :

Elles ont introduit la notion d’adversaire non humain,

Elles ont posé les bases des mécaniques comportementales,

Elles ont permis aux joueurs d’exister seuls face à la machine, une avancée essentielle pour la suite.

De 1950 à 1976, l’IA dans les jeux vidéo était moins un système intelligent qu’un moteur d’illusion. Il s’agissait de concevoir des comportements simulés assez convaincants pour créer l’impression d’un duel, d’une chasse, ou d’un défi.

Ces IA primitives n’étaient ni adaptatives, ni complexes. Mais elles ont bâti le socle de tout ce qui viendra plus tard : l’ennemi réactif, l’adversaire crédible, le défi mesuré.

Et c’est précisément ce socle, construit avec des moyens dérisoires, qui allait ouvrir la voie à l’explosion vidéoludique des années 1980… et aux IA qui, progressivement, allaient vraiment apprendre à penser.