Histoire des jeux vidéo

Street Fighter 5

Un titan controversé devenu pilier du versus fighting moderne

Illustration

Sorti en février 2016, Street Fighter V est l’un des opus les plus ambitieux et les plus discutés de la saga légendaire de Capcom. Fruit d’un développement conjoint entre Capcom et Dimps, le jeu a été conçu sur l’Unreal Engine 4 et exclusivement publié sur PlayStation 4 et PC Windows. Cette exclusivité visait à unifier la communauté compétitive en introduisant pour la première fois le cross-play entre consoles et ordinateurs.

Un lancement audacieux… et incomplet

À sa sortie, Street Fighter V n’était pas un produit terminé. Si les fondations techniques étaient solides, le jeu ne proposait ni mode Arcade, ni mode Histoire complet, ni réelle expérience solo. Seuls 16 personnages jouables étaient présents, avec un contenu en ligne encore instable. Cela déclencha une vague de critiques sévères, aussi bien chez les joueurs occasionnels que les vétérans de la licence. L’impression générale fut celle d’un jeu pensé avant tout pour les tournois et l’e-sport, au détriment du joueur lambda.

Pour autant, derrière ce lancement tronqué se cachait un système de jeu d’une redoutable précision et de mécaniques innovantes, taillées pour la compétition. Capcom avait décidé de faire évoluer son modèle économique : plutôt que de sortir de nouvelles versions physiques comme Ultra ou Super auparavant, l’éditeur opta pour un système de mises à jour régulières et de saisons de contenu téléchargeable.

Les bases du gameplay : l’ère du V-System

Street Fighter V repose sur les fondations classiques de la série : un combat en un contre un, sur un plan en 2D, où chaque personnage dispose de coups normaux, spéciaux, de projections, d’anti-airs et d’un super. Mais la nouveauté majeure introduite dans cet épisode est le V-System, une mécanique à trois branches qui redéfinit la stratégie de combat :

V-Skills : Chaque personnage dispose d’un mouvement unique, souvent utilitaire. Certains servent à se rapprocher, d'autres à contrer, absorber des projectiles, etc.

V-Reversals : Une option défensive permettant de repousser l’adversaire lorsqu’on est en garde. Il s’agit d’une riposte qui consomme une barre de la jauge V.

V-Triggers : De loin la mécanique la plus emblématique du jeu, le V-Trigger transforme temporairement les capacités du personnage. Certains enflamment littéralement leurs coups, d’autres modifient leur mobilité, leur vitesse ou leur puissance. Il s’agit d’un comeback mechanic, un outil permettant de renverser un match.

Le système de stun visible à l’écran incite à jouer de manière agressive. Quand cette jauge est pleine, le personnage est étourdi et vulnérable à une punition sévère, ce qui pousse à maintenir la pression pour dominer l’adversaire.

Un roster qui s’étoffe au fil des saisons
Au lancement, le jeu comptait des figures emblématiques comme Ryu, Chun-Li, Ken, Cammy, et M. Bison, mais aussi quatre nouveaux venus : Necalli, Laura, Rashid, et le mystérieux F.A.N.G. À travers cinq saisons de contenu étalées de 2016 à 2021, le roster s’est considérablement enrichi pour atteindre 46 combattants dans la version finale du jeu, chacun apportant une approche différente du gameplay.

Parmi les ajouts les plus marquants : Menat avec ses orbes flottantes, Zeku capable de changer d’âge et de style de combat, G, étrange "Président du Monde" au style flamboyant, ou encore Luke, un combattant en arts martiaux mixtes annoncé comme la passerelle vers Street Fighter 6.

Capcom a aussi fait revenir des icônes attendues comme Sagat, Blanka, Cody, E. Honda, Gill, Dan, Rose ou Oro, offrant un équilibre habile entre fan-service et innovation.

Des mises à jour majeures pour corriger la trajectoire
Capcom n’a cessé de peaufiner son jeu. En 2018, la Arcade Edition a transformé Street Fighter V avec l’ajout d’un mode arcade complet, de galeries, de V-Triggers secondaires, et de nouveaux menus bien plus ergonomiques.

Puis en 2020, la Champion Edition est arrivée. Cette version rassemble presque tous les contenus sortis jusqu’alors : 40 personnages, 34 stages et plus de 200 costumes. Elle redéfinit le méta du jeu avec un rééquilibrage massif. L’arrivée du V-Skill 2 pour chaque personnage amplifie encore la profondeur stratégique.

Enfin, en 2021, la dernière saison (Saison 5) introduit des ultimes ajustements d’équilibrage, un nouveau système défensif appelé V-Shift, qui permet d’esquiver et de contre-attaquer à temps, et cinq derniers personnages dont Akira Kazama (de Rival Schools) et Luke, présenté comme le futur visage de la franchise.

Un géant de la compétition
Malgré un départ chaotique, Street Fighter V est devenu l’un des piliers majeurs de l’e-sport de jeux de combat. Présent chaque année à l’EVO, au Capcom Pro Tour et à de multiples compétitions mondiales, le jeu a connu une longévité exceptionnelle grâce à son équilibrage progressif et à la variété de son roster.

Des joueurs comme Daigo Umehara, Tokido, Punk, IDOM, Infiltration, Xian, ou Problem X ont marqué l’histoire du titre à travers des affrontements légendaires. L’édition 2018 de l’EVO, remportée par Problem X (avec M. Bison) contre Tokido (Akuma), reste un sommet d’intensité stratégique.

La Capcom Cup, tournoi annuel à 250 000 dollars, a servi de moteur compétitif pendant plus de six ans, renouvelant sans cesse l’intérêt pour le jeu à haut niveau.

Réception critique et héritage
À sa sortie, les critiques saluèrent la qualité du moteur de jeu, la direction artistique plus réaliste que celle de Street Fighter IV, et la réactivité du gameplay. Mais l’absence de contenu et les problèmes de serveurs ternirent l’image du produit.

Avec le temps, Street Fighter V s’est métamorphosé. Il a fini par trouver sa place, et même par séduire certains des plus sceptiques. En 2023, le jeu comptait plus de 7 millions d’exemplaires vendus, un chiffre qui le place parmi les Street Fighter les plus diffusés.

Son influence se mesure à la clarté de ses fondations : il a permis à Capcom de bâtir un moteur technique unifié, de relancer les compétitions mondiales, et de préparer sereinement l’arrivée de Street Fighter 6 sur des bases saines.

Conclusion
Street Fighter V est un jeu double face : né dans la douleur, mal accueilli par une partie de la communauté, il est pourtant devenu, grâce à un suivi constant et une refonte patiente, l’un des jeux de combat les plus riches de la décennie. À la fois objet de controverses et plateforme d’expression pour les plus grands joueurs du monde, il incarne le passage de Capcom à l’ère des jeux-service compétitifs, tout en conservant l’ADN stratégique et nerveux qui a fait de Street Fighter une légende.

Si Street Fighter IV fut assimilable à un retour aux sources, Street Fighter V fut une épreuve. Mais une épreuve surmontée — qui aura marqué l’histoire du versus fighting.