Histoire des jeux vidéo

Far Cry

Le coup d’éclat qui a redéfini le FPS sur PC

Illustration

Lorsque Far Cry sort sur PC en mars 2004, peu de joueurs s’attendent à ce qu’un nouveau studio allemand encore inconnu du grand public, Crytek, vienne bouleverser les règles du jeu dans le monde des FPS (First-Person Shooter). Pourtant, c’est bien ce qui va se produire : le titre édité par Ubisoft impose une nouvelle norme technique et esthétique, et marque le début d’une franchise majeure.

Un projet né d’une démonstration technique
Avant de devenir un jeu à part entière, Far Cry n’est qu’une vitrine technologique : une démo intitulée X-Isle: Dinosaur Island, développée par Crytek pour démontrer les capacités de leur moteur maison, le CryEngine. Cette démonstration est repérée par Nvidia, qui s’en sert pour promouvoir ses nouvelles cartes graphiques GeForce. Impressionné par la qualité graphique et le potentiel du moteur, Ubisoft propose à Crytek de transformer cette démo en jeu complet. Ainsi naît Far Cry.

Un scénario prétexte, mais un décor révolutionnaire
Dans Far Cry, le joueur incarne Jack Carver, un ancien soldat reconverti dans la location de bateaux, qui se retrouve au cœur d’un archipel tropical infesté de mercenaires et de créatures génétiquement modifiées. Si le scénario reste relativement simple, voire cliché (expériences militaires, complot, science qui dérape), il fonctionne comme un excellent prétexte pour plonger le joueur dans un univers ouvert, luxuriant, vivant et surtout inédit pour l’époque.

Loin des couloirs fermés des FPS alors populaires (Doom 3, Call of Duty, Half-Life), Far Cry ouvre les espaces. Les environnements sont vastes, baignés de lumière naturelle, et offrent une liberté d’approche rare : infiltration dans la jungle, assauts frontaux, sniping depuis une colline, ou utilisation de véhicules pour traverser l’île. La notion d’écosystème crédible et de level design ouvert devient une signature.

Le CryEngine : Une révolution technique
Ce qui frappe immédiatement en 2004, c’est la qualité visuelle hors norme du titre. Le CryEngine permet :

Des effets d’eau dynamiques et réalistes.

Une distance d’affichage exceptionnelle pour l’époque.

Des éclairages en temps réel.

Un rendu végétal (herbe, feuillage, ombres portées) impressionnant.

Des comportements de l’IA qui réagissent au bruit, à la lumière ou à la position du joueur.

Le moteur gère également les balistiques, les matériaux destructibles, et adapte la difficulté selon l’approche choisie. Cette technologie fait de Far Cry un véritable benchmark pour les PC de l’époque. Il devient un jeu utilisé pour tester les performances des cartes graphiques, à l’image de ce qu’était Crysis quelques années plus tard.

L’intelligence artificielle : promesse et limites
Far Cry tente également d’introduire une IA dynamique : les ennemis ne foncent pas aveuglément sur le joueur, mais peuvent se coordonner, faire des rondes, utiliser les abris, ou encore vous débusquer dans la végétation. C’est l’une des premières tentatives crédibles de simuler des comportements adaptatifs dans un environnement semi-ouvert.

Mais cette IA est aussi sujette à critique : parfois incohérente, trop punitive ou peu fluide dans ses réactions, elle reste perfectible. Pour autant, elle marque un tournant dans l’ambition des FPS de l’époque : Far Cry veut être plus qu’un simulateur de tir, il veut proposer une expérience immersive et vivante.

Un succès critique et commercial éclatant
Dès sa sortie, Far Cry est encensé par la presse spécialisée. Il reçoit des notes excellentes (souvent 17/20 à 19/20) pour sa technique, son atmosphère, sa variété d’approche et sa richesse de gameplay. Le jeu dépasse rapidement le million d’exemplaires vendus, un exploit pour une nouvelle licence sur PC, qui plus est développée par un studio inconnu.

Le public loue la tension des affrontements, la beauté des décors tropicaux, et la sensation de liberté qui le différencie de ses concurrents.

La séparation Crytek / Ubisoft : une divergence stratégique
Malgré le succès, Crytek ne poursuivra pas l’aventure Far Cry. Après ce coup d’éclat, Ubisoft acquiert les droits de la licence et fonde Ubisoft Montréal, qui deviendra le nouveau porteur de la saga. Crytek, de son côté, développera Crysis (2007), une autre révolution technologique bâtie sur une philosophie similaire d’open-world et de réalisme balistique.

Far Cry 2, 3, 4, 5, 6 et Primal viendront bâtir la franchise chez Ubisoft, mais dans une direction très différente de l’épisode fondateur. Le premier Far Cry reste donc un épisode à part, souvent oublié des fans récents, mais vénéré par les joueurs PC de la première heure.

Un legs indélébile
En plus d’avoir lancé une saga devenue l’une des plus populaires du FPS moderne, Far Cry (2004) a :

Popularisé l’usage d’environnements ouverts dans le FPS.

Poussé les standards visuels vers le haut.

Inspiré de nombreux jeux à monde semi-ouvert (Crysis, STALKER, Just Cause…).

Mis Crytek sur la carte du monde vidéoludique.

Aujourd’hui encore, les passionnés peuvent redécouvrir le jeu, qui a plutôt bien vieilli sur PC, surtout avec les mods de la communauté.

Conclusion
Far Cry n’était pas qu’un simple jeu de tir en 2004. C’était un manifeste technique, une expérience de jungle virtuelle inédite, et une déclaration d’intention : le FPS ne devait plus être enfermé dans des couloirs. Il devait respirer, s’ouvrir, se complexifier. Même si la série a pris une autre direction sous l’égide d’Ubisoft, ce tout premier volet reste un chef-d’œuvre de son temps, et un jalon fondateur pour les shooters en monde ouvert.