Histoire des jeux vidéo

High School Kimengumi AKA "Le collège fou fou fou"

Des débuts improbables mais inoubliables

Illustration

🎮 High School ! Kimengumi (Master System, 15 décembre 1986)
Quand l’esprit loufoque du « Collège fou, fou, fou » envahit la 8‑bit de SEGA
1. Le contexte : un manga populaire, une console en quête d’identité
Au Japon, High School ! Kimengumi (traduction littérale : « Le Club des Empotés du Lycée ») est un manga humoristique de Motoei Shinzawa prépublié de 1982 à 1987 dans Weekly Shōnen Jump. L’adaptation télévisée animée (1985‑1987) fait éclater au grand jour l’humour absurde de l’œuvre : gags visuels, jeux de mots incessants et caricatures d’adolescents excentriques.
Pendant ce temps, SEGA tente de positionner la Mark III – rebaptisée Master System en Occident – face à la Famicom de Nintendo. Pour se démarquer, l’éditeur parie sur des licences très nippones : Hokuto no Ken, Anmitsu Hime, puis, en cette fin d’année 1986, sur Kimengumi. L’objectif est clair : attirer les collégiens japonisants croulant déjà sous les goodies de la série.

2. Fiche technique express
Détails Spécification
Support Cartouche 1 Mbit (128 Ko)
Développeur / Éditeur SEGA Consumer Development
Plate‑forme SEGA Mark III / Master System (zone JP uniquement)
Genre Board‑game hybride : panneaux de parcours, micro‑jeux, quiz humoristiques
Mode 1 à 4 joueurs (rotation sur une seule manette)
Date de sortie 15 décembre 1986 (Japon)
Non‑localisation Jamais publié hors Japon ; licence inconnue en Occident avant sa diffusion TV française sous le titre Collège fou, fou, fou (1990)

3. Un gameplay « plateau + mini‑jeux » avant l’heure
3 .1 La structure
Le programme se présente comme un jeu de plateau numérique. Les joueurs incarnent les cinq membres du Kimengumi (Rei, Jin, Gō, Dai, Kiyoshi) et avancent case après case sur le plan du lycée, des rues marchandes et d’autres décors répétant les environnements de l’anime.

Lancer de dé : chaque tour, un jet pseudo‑aléatoire détermine le déplacement.

Cases événement : rencontre d’enseignants, pièges « bad luck » digne de Sugoroku, gags graphiques, distribution de points humour.

Objectif : cumuler un maximum de « Popularité » avant la fin de l’année scolaire.

3 .2 Les micro‑jeux
Chaque arrêt déclenche l’un des 12 mini‑jeux stockés dans la cartouche :

Test de rafraîchissement de tableau noir – effacer la classe le plus vite.

Quiz de kanji – QCM loufoque sur l’orthographe, souvent piégé.

Course de vélos stylisée – vue latérale, obstacles, glissades.

Défi karaoké chiptune – marteler A/B en rythme.

Concours de grimaces – aligner des sprites de visages déformés.

La Mark III ne peut afficher qu’un nombre limité de sprites : chaque mini‑jeu est ainsi optimisé pour tenir dans 128 Ko, avec des palettes réduites à 16 couleurs simultanées.

3 .3 Interaction multijoueur
Pas de multitap en 1986 : on joue à tour de rôle sur la seule manette fournie. L’écran affiche un compteur de round ; la console émet un beep‑tone pour signaler le changement d’utilisateur, procédé qui renforce la dimension « jeu de société » à la japonaise.

4. Réalisation audio‑visuelle
Graphismes : gros sprites SD (super‑deformed), arrière‑plans statiques saturés de rose et turquoise, clins d’œil au manga sur les panneaux publicitaires.

Animations : limitées (2‑3 frames) mais exagérées ; l’humour visuel prime sur la fluidité.

Musique : puce PSG de la Mark III ; thèmes entraînants signés Tokuhiko Uwabo (dit « Bo »), compositeur maison de SEGA (Phantasy Star).

Voix : aucune digitalisation, mais des bruitages onomatopéiques ( « DA‑BOOON ! » ) écrits en katakana qui s’affichent quand un gag visuel survient.

5. Accueil et postérité
À sa sortie, le titre reçoit un accueil mitigé :

Points forts : humour fidèle au manga, ambiance déjantée, multijoueur local festif.

Points faibles : système de dé hasardeux, difficulté inégale des mini‑jeux, texte 100 % japonais (inaccessible aux plus jeunes non lecteurs de kanji).

Commercialement, il se vend convenablement – aidé par la popularité de l’anime – mais reste loin des hits Famicom. Il demeure exclusif au marché japonais ; la Master System européenne ou américaine ne profite donc jamais de ce crossover.

Collectibilité
Aujourd’hui, la cartouche est convoitée par les collectionneurs :

Loose : ± 40 €

CIB (Complete in Box) : 120‑150 €

Mint + Obi : > 200 €

Traduction amateur
En 2020, un patch de fan‑trad anglaise voit le jour, remplaçant les quiz par des blagues occidentales et adaptant les noms (Rei → Max, Jin → Joey). Il facilite la découverte du titre par le public rétro anglophone.

6. Pourquoi ce jeu compte encore ?
Expérimentation précoce du party‑game
Avant Mario Party (1998), Kimengumi propose déjà un plateau numérique mêlé à des micro‑épreuves.

Premier tie‑in manga sur Mark III
Il inaugure une longue lignée d’adaptations animées chez SEGA, ouvrant la voie à Akira, Rurouni Kenshin, Bleach.

Instantané culturel des années 80
L’écriture, l’humour meta, les références aux idoles japonaises et à la J‑pop capturent l’esprit « nanchatte » de la décennie.

Tech demo Mark III
Malgré la modestie technique, SEGA montre qu’une cartouche de 128 Ko peut combiner board‑game, mini‑jeux et cut‑scenes animées.

Conclusion
High School ! Kimengumi sur Master System n’est ni un chef‑d’œuvre d’équilibrage ni un blockbuster. Il est cependant un trésor de curiosité rétro, reflet d’une époque où l’industrie expérimentait sans filet pour capter la ferveur otaku. Pour les fans de Collège fou, fou, fou, c’est un complément nostalgique ; pour les historiens du jeu vidéo, c’est un maillon pré-Mario Party qui illustre la fusion naissante entre manga, télévision et jeu interactif.

Un titre à ressortir lors d’une soirée rétro pour mesurer la distance parcourue par le party‑game… et rire des sprites désarticulés d’une bande d’adolescents toujours prêts à transformer leur lycée en théâtre du burlesque. Cow cow kimengumi !