Histoire des jeux vidéo

Neutopia : Une petite frayeur pour The Legend of Zelda

Ou comment Hudson Soft a failli faire suer Link dans sa tunique verte.

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Quand Nintendo tend la perche (et un peu la joue)
C’était la fin des années 80. Le Japon vibrait au son des pixels 8-bits et des BGM chiptune. Hudson Soft, partenaire historique de Nintendo (ils ont codé les premiers Mario Party, c’est dire), travaillait alors main dans la main avec NEC pour lancer une nouvelle console : la PC Engine. Petite mais costaude, fine comme une cassette audio, elle promettait une qualité arcade à domicile.

Lors d’une rencontre entre les deux firmes, l’un des pontes de Nintendo, un sourire en coin, aurait lancé :

“Votre console, elle est pas mal... bon son, bons graphismes. Mais… ça manque de diversité.”

Puis, comme s’il avait gardé une botte secrète, il branche une cartouche dorée dans une Famicom et annonce :

“Regardez, nous on a un formidable jeu d’aventure. Ça s’appelle The Legend of Zelda.”

L’équipe de Hudson observe l’écran avec une attention très polie. Link explore les bois, évite des Octoroks, entre dans une grotte. L’un des développeurs hoche la tête.

“Effectivement… c’est pas mal.”

Mais dans leur regard, une petite lueur s’était déjà allumée. Et dans un coin de tableau blanc, quelqu’un griffonne un nom : Jazeta.

Jazeta entre en scène : naissance d’un anti-Link
C’est ainsi que naît Neutopia, lancé en 1989. Le héros, Jazeta, est un jeune aventurier qui part récupérer huit médaillons dans un monde labyrinthique où il devra affronter monstres, énigmes et passages secrets. Si cela vous rappelle un certain elfe vert, c’est normal. Jazeta n’est pas seulement inspiré de Link. Son nom sonne presque comme Zelda. Une sorte de clin d’œil à peine dissimulé.

Mais là où Zelda sur NES se battait avec les limites techniques de la machine, Neutopia, lui, profite d’une PC Engine bien plus musclée. Le jeu offre des couleurs plus vives, des animations plus fluides, une bande-son aux sonorités bien plus riches et variées. Là où Link se déplaçait en 4 directions avec des animations minimalistes, Jazeta bénéficie d’un scrolling fluide, d’effets visuels soignés, et d’un confort de jeu supérieur, notamment avec une carte accessible à tout moment.

Les sprites sont plus gros, les ennemis plus détaillés, et la musique exploite les six canaux sonores de la console. Là où Zelda reste musicalement culte, Neutopia ose des nappes sonores plus ambitieuses, presque orchestrales.

Autrement dit, si Link ouvrait la voie, Jazeta roulait dessus avec une moto technologique.


Réception publique : des promesses, mais un plafond de verre
sa sortie, Neutopia séduit. Les magazines de l’époque saluent un jeu d’action-aventure bien réalisé, dynamique, et plus clair que son modèle. Certains osent même dire qu’il “améliore Zelda sur plusieurs points”. Mais la critique est plus mitigée sur le fond : Neutopia n’innove pas autant que Zelda en son temps, et n’a pas l’aura de légende du titre de Miyamoto.

Surtout, la console joue contre lui : la PC Engine, très populaire au Japon, reste confidentielle en Europe et timide aux États-Unis. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : Zelda premier du nom s’est écoulé à plus de 6 millions d’exemplaires, tandis que Neutopia plafonne autour de 150 000. Une belle performance pour un clone assumé, mais loin du raz-de-marée Hylien.

Neutopia II : l’héritier au cœur battant
Mais Hudson n’a pas dit son dernier mot. En 1991, Neutopia II débarque. Cette suite améliore tout : graphismes affinés, scénario un peu plus développé (on incarne le fils de Jazeta), davantage de dialogues, nouveaux boss et animations plus détaillées. Et surtout, une intro devenue culte : la pluie tombe, la nuit est noire, le héros sort seul dans la tempête… Cette séquence, très cinématographique pour l’époque, marquera les esprits.

Un an plus tard, Zelda: A Link to the Past débarque sur Super Nintendo. Et lui aussi commence… sous la pluie, dans la nuit. Hasard ? Clin d’œil ? Inspiration inversée ? Les rumeurs vont bon train. Un développeur d’Hudson, interrogé plus tard à ce sujet, aurait répondu en souriant :

“On ne savait pas qu’on allait donner des idées à Nintendo. D’habitude, c’est l’inverse.”

Anecdotes de développement
- Le sprite de Jazeta, à l’origine, devait porter une moustache, façon aventurier à la Indiana Jones. Il a été rasé en urgence après que plusieurs membres de l’équipe l’aient comparé à un plombier mal déguisé.

- Le level design des donjons a été entièrement dessiné sur papier millimétré, avec des gommettes de couleurs pour symboliser les portes, les clés, les pièges. Une méthode artisanale, mais efficace.

- Une suite, Neutopia III, a été évoquée plusieurs fois. Elle aurait même été conceptualisée pour la PC-FX, mais l’échec commercial de cette dernière a scellé son sort.


Une rivalité silencieuse mais réelle
Aujourd’hui, Neutopia reste un jeu culte pour les amateurs de la PC Engine. Une œuvre à la fois inspirée et ambitieuse, qui n’a jamais caché son admiration pour Zelda, mais a su proposer sa propre vision du jeu d’aventure.

Il n’a jamais détrôné Link. Mais il lui a au moins rappelé que la concurrence pouvait être sérieuse. Et dans l’histoire des jeux vidéo, c’est déjà un exploit.